lundi 24 septembre 2012

TRES - chronique CD

TRES (« Trois » en occitan) est un groupe clairement orienté « chants à danser » – même si quelques-uns de l’album ne le sont pas forcément – et qui gravite autour de la voix de Marianne Evezard. Nous avons là affaire à de véritables virtuoses : Basile Brémaud restitue magistralement une tradition violonistique auvergnate, tandis que Jéròme Liogier Elsener roule une vielle limpide et efficace. Hervé Capel donne du rythme à l’ensemble par son accordéon chromatique, mais pour moi se borne trop souvent à ce rôle d’accompagnateur, même si parfois on sent que c’est pour mieux décomposer telle cellule rythmique ou pour introduire telle harmonie inattendue, tirée certainement d’une culture jazz…
L’album révèle de belles recherches et des arrangements intelligents ; certains chants sont inédits, mais la plupart, déjà édités ailleurs, viennent de collectages divers depuis les années soixante (mission Aubrac, Éliane Gauzit et Pierre Laurence, La Talvera, Olivier Durif, Nicole Coulomb…). Le chant Cançon dels missonièrs à seize couplets – presque une épopée – a été habilement arrangé comme une sorte de tableau synoptique, un historique condensé de la musique traditionnelle… qui débuterait par un long bourdon, introduisant la modalité ; puis progressivement apparaît l’harmonie, en même temps que l’accordéon, puis le rythme prend le dessus, etc. Mais tout cet équipage est sous-jacent à une voix imperturbable, comme pour signifier que le chant n’a pas besoin d’autre chose pour exister, au fond… Et Marianne Evezard est cette voix, surprenante, inspirée, mais aussi entêtante, certainement têtue, bien appropriée à ce type de répertoire. Le chant est toujours juste (à tous les niveaux), et très ambitieux, car il est omniprésent (puisque projeté sans cesse devant l’instrumentarium), et aussi parce que chaque chanson est fortement vécue : Marianne possède ce talent de transmettre le drame récurrent de la mal mariée, de la jeune fille obligée de prendre le voile, ou encore du fils du roi qui s’éprend de la jeune paysanne… Mais la dramaturgie joue également là où elle n’a pas forcément lieu d’être, sur des sujets plus légers… En revanche, des essais (trop rares ! ) d’exploration vocale (Vòle Pieron, ma maire) pointent timidement, et on aimerait que cette piste soit plus creusée, car elle paraît prometteuse. Mais le parti pris est celui d’une certaine tradition vocale, qui utilise une gorge solide, quitte à légèrement « masculiniser » un timbre pour pouvoir se faire entendre d’une vallée à l’autre (dit-on)… C’est le genre de tradition que l’on peut retrouver dans maints endroits en Europe, et qui fait mouche dans le choix de ce répertoire. Le savant mélange d’intonations napolitaines et de collectages occitans nous fait rappeler la géniale Fausta Vetere (Nuova Compagnia di Canto Popolare) aussi bien que Françoise Dagues dans l’intention vocale de Marianne Evezard. Et ce choix probable d’inspirations la transporte avec bonheur.
Un mot enfin sur le design graphique de l’album (et par extension, puisqu’il est éponyme, de l’identité visuelle du groupe) : ce n’est pas si souvent que le thème de l’ambigramme est utilisé dans les milieux de la musique traditionnelle ; il faut donc saluer cette œuvre signée Frédéric Wojcik.   

Alem Alquier

Musiques & chants des contreforts du Massif Central
TRES
AEPEM, 2012 

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