TRES
(« Trois » en occitan) est un groupe clairement orienté « chants à
danser » – même si quelques-uns de l’album ne le sont pas forcément – et
qui gravite autour de la voix de Marianne Evezard. Nous avons là affaire à de
véritables virtuoses : Basile Brémaud restitue magistralement une tradition
violonistique auvergnate, tandis que Jéròme Liogier Elsener roule une vielle
limpide et efficace. Hervé Capel donne du rythme à l’ensemble par son accordéon
chromatique, mais pour moi se borne trop souvent à ce rôle d’accompagnateur,
même si parfois on sent que c’est pour mieux décomposer telle cellule rythmique
ou pour introduire telle harmonie inattendue, tirée certainement d’une culture
jazz…
L’album
révèle de belles recherches et des arrangements intelligents ; certains chants
sont inédits, mais la plupart, déjà édités ailleurs, viennent de collectages
divers depuis les années soixante (mission Aubrac, Éliane Gauzit et Pierre
Laurence, La Talvera, Olivier Durif, Nicole Coulomb…). Le chant Cançon dels
missonièrs à seize couplets – presque une épopée – a été habilement arrangé
comme une sorte de tableau synoptique, un historique condensé de la musique
traditionnelle… qui débuterait par un long bourdon, introduisant la modalité ;
puis progressivement apparaît l’harmonie, en même temps que l’accordéon, puis
le rythme prend le dessus, etc. Mais tout cet équipage est sous-jacent à une
voix imperturbable, comme pour signifier que le chant n’a pas besoin d’autre
chose pour exister, au fond… Et Marianne Evezard est cette voix, surprenante,
inspirée, mais aussi entêtante, certainement têtue, bien appropriée à ce type
de répertoire. Le chant est toujours juste (à tous les niveaux), et très
ambitieux, car il est omniprésent (puisque projeté sans cesse devant
l’instrumentarium), et aussi parce que chaque chanson est fortement vécue : Marianne possède ce talent de transmettre le drame récurrent de la mal mariée, de la jeune fille obligée de prendre le voile, ou encore du fils du roi qui
s’éprend de la jeune paysanne… Mais la dramaturgie joue également là où elle
n’a pas forcément lieu d’être, sur des sujets plus légers… En revanche, des
essais (trop rares ! ) d’exploration vocale (Vòle Pieron, ma maire)
pointent timidement, et on aimerait que cette piste soit plus creusée, car elle
paraît prometteuse. Mais le parti pris est celui d’une certaine tradition
vocale, qui utilise une gorge solide, quitte à légèrement « masculiniser » un
timbre pour pouvoir se faire entendre d’une vallée à l’autre (dit-on)… C’est le
genre de tradition que l’on peut retrouver dans maints endroits en Europe, et
qui fait mouche dans le choix de ce répertoire. Le savant mélange d’intonations
napolitaines et de collectages occitans nous fait rappeler la géniale Fausta
Vetere (Nuova Compagnia di Canto Popolare) aussi bien que Françoise Dagues dans
l’intention vocale de Marianne Evezard. Et ce choix probable d’inspirations la
transporte avec bonheur.
Un
mot enfin sur le design graphique de l’album (et par extension, puisqu’il est
éponyme, de l’identité visuelle du groupe) : ce n’est pas si souvent que le
thème de l’ambigramme est
utilisé dans les milieux de la musique traditionnelle ; il faut donc saluer
cette œuvre signée Frédéric Wojcik.
Alem
Alquier
Musiques & chants des contreforts du Massif Central
TRES
AEPEM, 2012
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