lundi 24 septembre 2012

ForrOccitània, Silvério Pessoa et La Talvera - chronique CD

Depuis le Pernambouc, Silvério Pessoa a souvent ramené ses musiques et le forró pour les associer au groupe occitan La Talvera. Ces rencontres, débutées en 2003, avaient fait naître un nouveau groupe sous le nom de ForrOccitània ; ce disque démontre que l’association a fonctionné sur la durée. L’intention est claire : faire parler les langues entre elles et faire jouer les musiciens ensemble.
Accordéon, triangle, tambourin sont les instruments du forró, déjà présents dans le sud de la France ; s'y ajoute le fifre (pifre occitan et pífano du Nordeste). Ils se retrouvent ici quasiment dans tous les morceaux, accompagnés parfois du graïle (hautbois languedocien), du cavaquinho (sorte de guitare d'origine portugaise à quatre cordes), de la bodega (cornemuse languedocienne de la Montagne noire), de la viole à douze cordes et plus classiquement de saxophones, clarinettes et claviers. De belles bigarrures musicales où les couleurs des deux pays conservent leur originalité tout en réussissant la fusion. On ne sait plus alors si le chant est occitan ou brésilien, la fête est lancée, le voyage engagé - Escotatz (traditionnel portugais) - titre 8 :

Occitània ven brasiliera
O tão linda
Lo Sertão dança la borrèia

La « résistance » est clairement le dénominateur commun de cette fusion. Ce n’est certainement pas le choix le plus facile, car rien de plus mystérieux que la réussite d’un texte engagé en musique. L’interpellation pour un monde « sans flic et sans CRS » est éventée, quant aux noms des hommes politiques, ils sont vite balayés par l’actualité (Chora bananeira - titre 4). D'ailleurs, les injonctions qui parcourent le disque semblent ne pas toujours être faciles à suivre malgré leur simplicité apparente « Es a totòm de plan causir sa dralha, E de sortir de la gregaritat » (Nas terras/Las linhas de la man - titre 3). Pourtant, certains airs trouvent une force et une identité étourdissantes et s’illuminent de cette énergie combattante. Cela fonctionne surtout lorsque les deux récits historiques s’entremêlent dans la contestation. La combinaison des trois héros nés à la fin du XIXe siècle de la chanson Landon, Lampao et Padre Ciço (titre 5) mélange des histoires dont on a souvenance même si on les a oubliées ou jamais entendues. Le bandit Virgulino, surnommé "Le Lampion" à cause de sa puissance de feu, le Père Ciço qui l’a soutenu et le chansonnier Landou ne se sont pas croisés mais ils se seraient certainement unis dans leur refus de l’asservissement. D’autres chants traversent notre imaginaire avec une fulgurance étonnante, nous faisant brusquement changer d’hémisphère : la valse de Jòrdi Amado (titre 2), où l’accordéon prend des accents andins, est une merveille de tendresse où l’on croit voir virevolter Dona Flor dans les bras de ses deux maris. À la fin de l’avant-dernier titre (Casa de aranha/Escotish de l'aranha), la brutalité de la force musicale de deux très brèves séquences d'archives sonores brésiliennes et tarnaises nous pincent le cœur... À quand le voyage dans le temps ? 

Véronique Ginouvès


ForrOccitània
Silvério Pessoa et La Talvera
La Talvera, 2012

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