Propos recueillis par
Dominique Regef
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photo COMDT |
Le dernier entretien avec
Xavier Vidal remonte au Pastel no 58, en l'an de grâce 2006. Xavier Vidal
concluait son passionnant tour d'horizon sur le développement des musiques
traditionnelles en désignant la formation des musiciens et des acteurs
culturels comme un enjeu crucial. Il évoquait alors la mise en place d'un DEM
(Diplôme D’Études Musicales) au niveau régional, en supposant que les
structures d'enseignement s'entendent, et qu'elles puissent s'appuyer sur des
personnes ressources. « Un gros enjeu pour les dix ans à venir »...
Voilà, nous y sommes !
Nous
y sommes... et tu as pu concrétiser ce projet en 2011. Mais pourquoi un DEM, et
pourquoi Toulouse ?
Cela s'est concrétisé à
Toulouse, où il y avait un rapprochement entre le Centre Occitan des Musiques
et Danses Traditionnelles (COMDT) et le Conservatoire à Rayonnement Régional
(CRR) depuis plusieurs années. Le CRR a une
histoire longue, et depuis sa création n'avait pas eu l'occasion d'intégrer les
musiques traditionnelles. Mais en même temps il
existe un DEM coordonné entre plusieurs conservatoires au niveau régional dans
certaines disciplines comme le piano et d'autres instruments, mais pas pour les
musiques traditionnelles, et il n'y a pas eu encore d'entente entre les
conservatoires de la région. Il y a des pôles, à Tarbes, Montauban, Toulouse,
dans le Tarn, l'Aveyron, des écoles d'enseignement spécialisé et à rayonnement
départemental qui sont habilitées à organiser ces formations et délivrer ces
diplômes, mais il manquait quelque chose au niveau régional, parce que plus
c'est régional, plus il y a de moyens, d'abord pour aller rencontrer ces
musiques sur les terrains, où il y a un potentiel d'intervenants plus large qu'à
Toulouse avec les seuls formateurs du CRR.
Peux-tu
me préciser le contenu d'un DEM, son champ d'investigation ?
Pour l'obtention d'un DEM,
la formation est organisée au niveau national par domaines de compétences (ou
unités de valeur), le socle principal étant la pratique instrumentale ou
vocale, complété par la pratique collective et la culture musicale, à un niveau
de 3ème cycle, avec, lors de l’examen final au bout de deux ou trois ans, la
production de quarante minutes de musique, qui seront une carte de visite
musicale. Pour ne pas enfermer les gens
dans la pratique d'un instrument ou d'un style, il est proposé qu’ils puissent
présenter dans ce programme au moins une deuxième spécialité, avec une grande
latitude de choix. Ils peuvent choisir une autre posture sur leur instrument,
par exemple préparer un concert dans leur partie principale, et dans leur
partie complémentaire accompagner la danse, le chant, jouer le répertoire d'une
autre aire culturelle, jouer plusieurs instruments, un instrumentiste peut
présenter du chant, un chanteur peut être danseur...
Il faut que les musiciens
traditionnels montrent leur différence par rapport au musicien d'orchestre qui
est souvent formé principalement comme interprète sur son instrument. Un
musicien dit des musiques traditionnelles doit avoir une ouverture. Il va
peut-être présenter dans son programme une improvisation à un moment donné, ou
une composition. Il va aussi, bien sûr, présenter des choses qui sont en
rapport avec les sources, puisque les musiques traditionnelles sont l'objet de
la formation.
La
formation instrumentale ou vocale est importante ?
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Journées Portes Ouvertes 2012 du COMDT - photo COMDT |
Oui, et c'est ce qui est
dominant dans l'évaluation et dans la formation. Théoriquement les étudiants
ont droit à une heure par semaine dans leur spécialité. Il faut valider aussi
ce qui est complémentaire, c'est-à-dire la
culture musicale. Le domaine occitan est abordé au sens large : quand on parle
des pays d'oc, on va parler de la Catalogne, de l'Aragon, du Berry, de la
Bretagne, et au-delà de l'Europe. Ils travaillent aussi sur des ateliers de
musique arabo-andalouse et orientale, et sur le flamenco. Ils ont dans leur
examen des commentaires d'écoute à faire sur ces trois aires culturelles. Sur
la culture musicale, ils ont une recherche personnelle à faire, dont ils
proposent le sujet. Ce n'est pas de l'ethnomusicologie ou de la recherche
universitaire, mais ils doivent prouver qu'ils savent utiliser les outils,
qu’ils savent ce qu'est une biographie, une compilation d'enregistrements, une
recherche, présenter des collectages, de la pratique actuelle, comprendre dans
quelle histoire se trouvent les musiques dites traditionnelles. La troisième
UV, c'est la pratique collective dans un atelier, lors de projets, d’événements
qu'on nous propose. En général les étudiants, à leur niveau d'entrée, n'ont
aucun mal à justifier d'une pratique collective, car la plupart jouent déjà
dans des groupes, certains sont même professionnels, ont un statut de musicien,
d'intermittent du spectacle, jouent dans des compagnies, et/ou interviennent en
amateurs dans l'animation de bals, de réseaux associatifs.
La
pratique collective se fait-elle par famille d'instruments ?
Ils pratiquent hors les
cours, et l'atelier de pratique collective que je propose est accessible à
tous. Evidemment ce n'est pas évident de se retrouver avec quatre guitaristes
flamenco, deux bodegas (cornemuse de
la Montagne noire), un graile (hautbois
du Haut-Languedoc), donc on se base beaucoup sur la voix et la danse. Pour les
musiques elles-mêmes, les étudiants font des propositions pour monter des
choses dans leur style, et il y a parfois des croisements, des mises en miroir,
par exemple un thème arabo-andalou avec une polka limousine... mais il ne
s’agit pas de métissage. C'est un atelier hebdomadaire qui nous permet de
monter des programmes quand nous sommes invités sur des manifestations, comme
l'année dernière sur le Festival Convivencia, où nous avons proposé un parcours
en lien avec le thème du Canal du Midi, avec un narrateur.
Ce
qui vous permet de ne pas forcément jouer tous ensemble, de faire des
sous-groupes...
Oui, nous sommes une
vingtaine, et même si nous avons quelques thèmes ensemble, nous jouons surtout
en petites formules qui se succèdent, dans des registres de musique acoustique.
Quand nous nous retrouvons sur le collectif, c'est surtout sur le chant et le
rythme. Les « flamencos » amènent beaucoup au niveau de
l'accompagnement rythmique, les « arabo-andalous » au niveau de la
modalité, et les « occitans » au niveau de la danse, du rythme, parce
qu'après le concert vient le bal.
En
dépassant le côté purement régional, en plaçant d'emblée l'Occitanie dans une
sphère culturelle méditerranéenne, européenne, et même au-delà, on renoue des
relations oubliées, qui nous apprennent peut-être le plus sur nous-mêmes...
J’ai beaucoup appris à ce
contact depuis trois ans. Je suis allé aux ateliers de flamenco qu'anime notre
collègue Vicente Pradal, qui fait également un forum sur la culture flamenco.
Le flamenco, c'est très compliqué. Pour être vraiment dans cette culture-là, il
faut énormément pratiquer, écouter, mais on peut quand même être aficionado, essayer de comprendre les
structures rythmiques, les structures mélodiques. Après, quand on met les
choses en commun, on part sur le répertoire a priori le plus simple. Nous avons
travaillé sur le fandango, puis sur le tango, sur du quatre temps, avec le
chant. Si on attaque les bulerias,
c'est plus compliqué ! C'est une sensibilisation pour les gens qui ne sont
pas spécialistes.
C'est pareil pour la musique
arabo-andalouse ou orientale. Marc Loopuyt, qui a notamment enseigné au
Conservatoire de Villeurbane, propose un atelier où des spécialistes
travaillent des pièces et les mettent ensuite à portée de tous pour au moins
les comprendre et les pratiquer. Ce qu'il fait travailler en commun porte
beaucoup sur la musique turque ; c'est le rapport au corporel et à la danse qui
l'intéresse, il fait en même temps chanter, danser et jouer.
Pour le domaine occitan,
Franck Ferrero et moi-même nous occupons des chanteurs, et de temps en temps
nous organisons des stages en week-end avec des chanteurs invités, comme
Guillaume Lopez, Pascal Caumont, Dany Dauba-Madier, Thomas Baudoin, Pierre
Boissières, Emilie Manescau, Equidad Barès…
Le
COMDT accueille et administre les cours de chant, de musique orientale et
d’ethnomusicologie du département, et accueille également les cours de culture
musicale depuis la rentrée 2013 et les cours de pratique collective depuis 2014
(qui sont eux administrés par le CRR). Les étudiants bénéficient également de
ses locaux pour y travailler et participent à des actions de sensibilisation et
de diffusion menés par le COMDT. Il est
à noter que le COMDT accueille également certains cours de l’isdaT pour les
étudiants en DE de musiques traditionnelles (travail sur les sources et tutorat
de chant).
Tous les étudiants, quelle
que soit leur spécialité, peuvent intégrer les ateliers collectifs. Des
flamencos viennent chanter occitan, des occitans font de la musique orientale,
c'est ça qui est intéressant. Et même, dans l'idéal, on pourrait rêver qu'il y
ait d'autres cultures représentées, en fonction de la réalité toulousaine, par
exemple les musiques latino-américaines, les musiques d'Afrique de
l'ouest. Dans mon cours de culture
musicale, on écoute les musiques du monde entier mais rien ne vaut le contact
direct avec un musicien. Les étudiants font toujours un lien avec leur
pratique. J'ai toujours dit qu'on ne peut pas comprendre les rondeaux du Savès
si on ne s’intéresse pas aux musiques du monde.
À une époque — mais cela a
changé depuis — existait un courant dans les musiques traditionnelles occitanes,
et en allant parfois chez les musiciens je regardais leur discothèque, où il
n'y avait que des disques de jazz moderne, et pas un seul disque de musiques du
monde. Cela m'a toujours étonné. Personnellement c'est la découverte des
musiques du monde, avec les disques du Musée de l'Homme, qui m'a motivé pour
pratiquer la musique. Et encore aujourd'hui on découvre sur Internet des
musiques qu'on ne connaît pas. Il y a une trentaine d'années, on cherchait dans
les musiques ethniques une authenticité, un exotisme. Maintenant, la richesse
c'est de découvrir les musiques traditionnelles en évolution. Récemment par
exemple, j'ai vu un film qui montre un bal mapouxea au Chili, c'était
un peu techno mais superposé à une base de musique des indiens d'Amérique au
niveau de la structure mélodique.
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Xavier Vidal à la bodèga - Les Conversations musicales 2013, photo Thomas Guillin |
Cela
jette un regard différent sur l'identité occitane, qui est un élément fort chez
beaucoup de musiciens. Comment est vécue cette évolution ?
C’est un dialogue. On
observe qu'il y a ce qu'on appelle une « musique occitane »... est-ce
que cela signifie chanter en occitan ? C'est plus large que ça, mais dans ces
nouvelles pratiques des musiques dites occitanes, ou traditionnelles, peu de
gens ont des références sur les sources, sur l'histoire réelle des musiques
populaires dans les pays d'oc. Même nous, notre génération, qui avons été
collecteurs, n'en connaissons que des bribes. L'histoire des musiques
populaires est très difficile à reconstituer, mais la recherche à ce niveau-là
a beaucoup avancé. Il y a aujourd'hui des jeunes qui pratiquent sur la scène et
qui connaissent leur milieu musical et culturel, mais beaucoup découvrent qu'il
y a des sources et qu'il faut aller les chercher, ce qui n'est pas évident.
Ces
sources sont de plus en plus numériques, immatérielles, et pourtant le contact
des gens reste très important.
C’est un vrai débat. D'un
côté on dit aux étudiants qu'il faut être crédible, que pour enseigner les
musiques traditionnelles, il faut avoir une légitimité par rapport aux sources.
D'un autre côté, on a affaire à une génération qui n'a pas été celle des
collecteurs. Les collecteurs ne se posaient même pas la question — ce qui ne
les empêchait pas de réfléchir — car ils étaient confrontés à cette musique au
contact des gens, de leur vie, ce qui leur apprenait beaucoup. Or maintenant,
être crédible nécessite par exemple de connaître Alexis Capes, un vielleux
landais. On cherche donc les enregistrements, et à partir d'éléments assez
dispersés, on peut mener une réflexion. Mais bien sûr rien ne valait le contact
avec Alexis Capes, de le voir jouer dans un
bal et sur scène. Il faut donner de l'importance à la connaissance des sources,
mais il ne faut pas tout mettre là-dedans. La connaissance de ces musiques
c'est aussi, aujourd'hui, celle des pratiques actuelles par rapport à ces
musiques, et les collecteurs peuvent être à leur tour des sources.
Les
sources évoquent une fluidité, la musique a évolué selon les musiciens, chaque
musicien a sa propre histoire...
Il ne faut surtout pas
considérer que la bourrée du « père machin » doit être jouée comme ça,
et qu'on est légitime quand on interprète à l'identique. Cela a existé dans le
mouvement des musiques traditionnelles — « est-ce que tu sais jouer la
bourrée de Vidalenc à la manière de
Vidalenc? ». Qu'on étudie les modes d'interprétation de ce musicien,
d'accord, mais surtout qu'on s'en inspire pour en faire quelque chose de
personnel. C'est vrai que les gens qui étudient cela ont dans leur
interprétation une originalité, une authenticité, alors que ceux qui ne
s'intéressent pas du tout aux sources croient être originaux, créateurs, mais
ils font souvent des choses assez ordinaires.
L'imitation,
en nous initiant à différents langages, serait donc un tremplin vers
l'invention de notre langage propre, et en même temps on n'échappe pas à
l'environnement musical actuel...
Il serait intéressant de
savoir pourquoi certains clichés sont repris dans les nouvelles musiques
traditionnelles, car ils sont parfois pertinents. Par rapport au collectage,
s'il n'y a aucun lien apparent, on s'aperçoit qu'en interrogeant les jeunes
musiciens, c'est un choix conscient. Ils cherchent par exemple certaines formes
mélodiques tendant vers le pentatonique, une espèce de transe dans le renouveau
du bal, des ostinatos qui n'existaient que rarement dans la tradition, une mise
en boucle, en spirale, et cela m'intéresse.
C'est
d'autant plus intéressant que cela se pratique dans d'autres traditions, de
manière spontanée dans la musique improvisée, et dans certaines compositions
contemporaines, comme les musiques répétitives, elles-mêmes souvent inspirées
des musiques ethniques. C'est une approche universelle et purement
fonctionnelle, parce que venant du corps et parlant directement à l'âme. Si les
cultures sont très éloignées, les oreilles sont a priori les mêmes, et sont
capables, avec un peu d'entraînement, d'en percevoir l'essence.
Par rapport à la tradition
ancienne et aux sources, certains éléments ne sont à mon avis pas assez
valorisés, par exemple l'élasticité du tempérament et du rythme. La tendance du
renouveau s'oriente beaucoup vers les musiques actuelles, le métronomique,
alors que dans la tradition, au contraire, il y a de l'élasticité dans la mesure
du temps, et dans le tempérament aussi. Les anciens jouaient « faux ».
Faux
mais juste !
Voilà, c'est ça ! Si dans
une échelle certaines notes sont justes par rapport au tempérament égal,
certains degrés sont un peu « tirés », un peu « entre ». Cela
se pratique instinctivement au violon : on met le doigt au milieu, et on a tout
de suite un mode particulier. Les chanteurs sont rarement dans le tempérament
égal. Les nouvelles musiques traditionnelles sont attirées par le chant
polyphonique, plus spectaculaire, mais dans la tradition il y a aussi la
monodie, plus souple, qui n'est peut-être pas assez cultivée. C'est beau aussi
la monodie !
La
polyphonie a un côté collectif qui est émouvant, c'est un vrai partage. Dans la
monodie il y a une liberté à laquelle on n'est plus guère accoutumés
aujourd'hui. Cette idée de partage, on la retrouve à travers les baleti, où les
concepts de bal et de concert se sont mélangés depuis quelques années : on
écoute la musique et on danse dessus.
Comme ça se fait dans les
musiques actuelles, par exemple...
C'est
un virage très marquant dans les musiques traditionnelles. Comment
l'analyses-tu ?
L'image du bal n'est plus du
tout la même. Le folk ou les musiques traditionnelles ont voulu reproduire le
bal. Le bal avec un espace organisé, avec un plancher et une estrade pour les
musiciens, c'est un modèle qui a surtout été développé dans le bal ouvrier.
Dans les concerts de musiques actuelles, j'ai vu par exemple un tremplin
organisé par la ville de Toulouse, où les gens sont d'abord simples auditeurs,
puis danseurs. Les salles n'ont pas de chaises, alors ça circule. Si les
musiques traditionnelles se jouent beaucoup sur scène, leur force est d'être un
peu « tout terrain », d'aller à la rencontre des publics, de côtoyer
les gens à table, etc. Elles inventent d'autres contextes, hors de la scène et
de la salle de concert. Si les musiques traditionnelles étaient vraiment
populaires, elles seraient dans le quotidien des gens.
Les
baleti, en s'orientant vers le
spectaculaire, créent une accoutumance du public, qui conditionne l'écoute à la
danse. Capter l'attention sur des chants et des musiques qui sont vraiment « à écouter », ça paraît de plus en plus difficile, non ?
C'est sûr. Il y a une
déperdition de l'écoute surtout quand on a le même registre, les mêmes couleurs
au long du concert, parce que les gens zappent de plus en plus. Alors la
musique devient un accompagnement, un paysage sonore de la fête, quelque chose
d'un peu secondaire. Il faut donc attirer l'attention. Mais on peut travailler
sur d'autres propositions, concevoir la musique de bal autrement, ce qu'on fait
à la Granja, le lieu que j’ai contribué à créer à
Soulomès, dans le Lot, il y a quelques années. Le musicien de bal est un
moteur, un animateur, il prend la parole, sollicite les gens, mais une fois la
danse lancée il se met en retrait, il est porté par le mouvement collectif, et
c'est là que ça m'intéresse vraiment.
Je comprends néanmoins les
groupes qui font du spectaculaire. Je ne parle pas des orchestres de variétés,
avec des danseuses et des sections de cuivres, que les villes du Bas-Languedoc
achètent l'été. C'est un peu comme à la télé, les gens ne dansent pas, ils
regardent ! Le but, que ce soit spectaculaire ou pas, devrait être qu'il y ait
toujours ce contact entre les musiciens de bal et les danseurs. Je crois que
généralement ça se fait. Mais si les musiques traditionnelles sont méconnues et
peu diffusées, les musiciens traditionnels se satisfont un peu facilement de
leur position en milieu protégé, dans nos réseaux associatifs, dans nos
festivals... Les groupes ou musiciens
qui ont essayé d'infiltrer d'autres réseaux, comme celui des musiques
actuelles, ont rencontré des milieux beaucoup plus durs dans leur économie et
leur organisation. Entre tremplins et prestations promotionnelles gratuites, la
concurrence est sévère. Dans les musiques traditionnelles, les musiciens
professionnels sont davantage considérés, valorisés, ils sont connus et
reconnus, font partie d'une famille, connaissent leurs réseaux. Avec un risque
de repli, de manque de volonté d'aller vers les improvisateurs, le jazz, les
musiciens classiques...
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Intervention dans une classe de danse du CRR avec Bastien Fontanille |
Cette
ouverture, c'est justement un point fort de ce département de musiques
traditionnelles.
Oui, une transversalité par
rapport au CRR, qui a une histoire un peu « académique ». En fait je me
retrouve avec des collègues très ouverts et compétents dans leur discipline.
Beaucoup m'ont lancé des perches, et chaque fois qu'on nous sollicite on essaye
de faire quelque chose de transversal, on essaye de s'associer, par exemple
avec la classe d'électroacoustique de Bertrand Dubedout, avec les musiques
actuelles, avec le jazz et la venue de Bernard Lubat... J'ai été invité par les
professeurs de violon - le violon c'est vraiment une école au sein du CRR, avec
dix-sept professeurs de cordes ! J'ai fait des ateliers, travaillé à l'oreille
sur des danses avec les enfants, et nous l'avons présenté aux journées portes
ouvertes de l’établissement. Certains professeurs montrent une véritable
ouverture -je ne puis citer tout le monde- et le responsable de ce département,
Louis Merlet, qui est un improvisateur, joue avec nous sur une polka... Cela
m’a surpris, et en même temps c'est logique, car ce sont des gens cultivés,
musiciens, qui ont une certaine connaissance des musiques traditionnelles. Par
ailleurs, il y a des professeurs qui se limitent à faire leur métier, à savoir
former les musiciens d'orchestre, et ils le font bien, visent un objectif et ne
mettent pas beaucoup d'énergie dans la démarche transversale, mais tout le monde
ne peut pas être pareil, il faut être complémentaires. Le CRR n'est donc pas
cette forteresse qu'on décrit souvent.
Comment
s'est développée la mise en place de ce cursus ?
Ce
fut d'abord la volonté de Maïlis Bonnecase, directrice du COMDT, qui a
travaillé à sa conception avec l'ancien directeur du Conservatoire, Gérard Duran (et
donc la municipalité de Toulouse) à ce sujet pendant plusieurs années. On doit
beaucoup à ces deux personnes-là. Jean-Christophe Sellin, élu à la ville de
Toulouse en 2008, responsable de la musique en charge notamment du CRR,
également Président du COMDT, s’est montré favorable à cette ouverture et la
municipalité nous a suivis. Pascal Caumont, professeur au Conservatoire
de Tarbes et moi-même avons été associés immédiatement à ce projet. Gérard
Durand souhaitait que le flamenco soit intégré dans ce département, car il a
des origines espagnoles et catalanes, et c'est un aficionado. Maïlis Bonnecase travaillait depuis longtemps sur les
musiques arabo-andalouses et orientales au COMDT en organisant des stages et
des concerts. Le domaine occitan était évidemment le premier légitime, et le
seul sur lequel j'avais travaillé dans les écoles de musique, dans le Lot et
l'Aveyron. Lorsque l’on m’a proposé de prendre la coordination de ce département
dont l’ouverture était prévue en septembre 2011, j’ai accepté après une période
de gestation et de réflexion. Habiter et travailler à Toulouse était quand même
difficile pour moi, je suis un rural et le Lot était mon terrain. Mais ma femme
travaillait à Toulouse depuis sept ans, et finalement je suis content de
l'avoir fait car ça m'a fait évoluer, au niveau de
mon boulot, du contenu des cours, de la connaissance de la musique et de
nouveaux réseaux. Je ne dis pas que je tournais en rond dans le Lot, parce que
je continue toujours à m'occuper de l'association La Granja, mais je me demandais parfois si je ne prenais pas
trop de place là-bas. C'est moi qui avais créé les associations, les
structures, l'enseignement, qui étais l'interlocuteur du conseil général pour
les musiques traditionnelles.
C'est
une suite logique de ton expérience de terrain, en somme...
Exactement.
J'ai toujours trouvé dans le Lot un terrain idéal. Quand je m'y suis installé
il y a trente ans, il n'y avait rien, sauf des petites associations, des
groupes folkloriques, et les musiciens n'avaient pas été collectés,
enregistrés.
Mais
avant d'aller dans le Lot, tu étais à Toulouse, au Conservatoire Occitan ?
Oui,
je suis natif de Toulouse, et je me suis donc rapproché de ma famille. Et si
habiter dans un appartement au troisième étage en ville, sans jardin avec juste
un petit balcon, c'est rude au début, mon était d’esprit était de
m’adapter. Et puis Toulouse est une ville hyper
dynamique. La grosse différence, c'est que quand je fais des projets, il y a
des moyens ! Enfin, un minimum. Dans le Lot, les trois quarts du temps c'était le bénévolat
total. Ce département compte cent cinquante mille habitants, la ville de
Toulouse cinq cent mille ! Tout le département du Lot c'est un quartier de
Toulouse en fait ! Ça n'a rien à voir, c'est d'autres stratégies. La forêt de
la Bronhe, près
de la Granja, est en plein causse et compte deux habitants au km², c'est
quasiment un désert. Notre permanent, Guillaume
Boucher, me dit que s'il ne se bouge pas pour faire venir les gens, il peut se
passer une semaine entière sans voir personne au siège de l'association.
Ça
doit être un peu desséchant, au bout d'un certain temps, ce désert...
C'est
étrange, car en milieu rural les gens se concentrent autour des petites villes,
au milieu d'espaces désertifiés. Globalement les campagnes se repeuplent, mais
des territoires sont laissés à l'abandon. C'est aussi le fait qu'il y a moins
de paysans. Certains concentrent leurs exploitations sur des dizaines, des
centaines d'hectares, et ils doivent s'en occuper tout seuls. C'est rude. Et à
côté, des petites villes, des petits villages où les gens se rapprochent des
services publics, ce qui est normal.
Ce
monde rural s'est transformé et a considérablement diminué, donc les musiques
traditionnelles se sont diluées dans une nouvelle population, plus urbanisée.
Comme
ça change sociologiquement, la fonction de la musique change. La fonction de la
musique, c'est très important. Les musiques d'origine paysanne avaient des
fonctions particulières, qui s'inscrivaient en lien avec le travail, certains
rituels, et on ne va en prendre qu'une partie, par exemple la musique à danser,
et la restituer dans la société contemporaine ; donc automatiquement tout
change. Si la fonction change, l'esthétique change. C'est très important à
comprendre. Dans le monde paysan, on a collecté il y a plus de vingt ans des
chanteurs de chants de moisson. Aujourd'hui ce n'est plus possible. Mais
parfois on est surpris de la façon dont les choses se sont conservées dans la
transmission orale de génération en génération, même si ce sont des choses qui
n'ont plus de fonction. Elles se conservent parfois, mais c'est rare. C'est la
fonction qui porte une expression.Le mouvement folk puis le
courant des musiques traditionnelles se sont beaucoup
intéressés à cette culture rurale, et pas assez à la culture ouvrière, qui était
plus urbaine, plus moderne, plus en lien avec une société complexe, avec les
apports des cultures de l'immigration, un dialogue entre cultures dites
savantes, académiques, et cultures populaires. À mon avis, il y a une histoire
phénoménale à faire sur l'expression musicale dans les villes, en milieu
ouvrier... énorme sujet ! Ne serait-ce que pour la musique à danser, le bal
ouvrier était aussi développé que les bals de campagne, sinon plus. J'ai
découvert des programmes de Radio-Toulouse parmi les quelques archives qui ont
été sauvées, car comme elle avait collaboré pendant la guerre avec Vichy, la
Résistance a fait exploser le bâtiment entier, qui contenait un trésor de
sources sonores. Quand on voit ce qui était diffusé, c'était uniquement de la
musique en boucle, et dans tous les styles : des orchestres de danse avec des
cuivres, ce qu'on appelle le bal champêtre 1900, aux orchestres de musette avec
une couleur parisienne mais aussi auvergnate. Il y avait la figure du
toulousain, venant d'un milieu ouvrier, qui connaissait à fond l'opérette,
l'opéra, et aussi les musiques de l'immigration, avec les grands accordéonistes
italiens des années 20-30, les Catalans avec la sardane... Et il y avait les
music-halls...
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Intervention à l’Hôpital d’enfants de Purpan
avec Chloé Dedieu et Amine Tilioua |
J'ai
commencé la musique au violon, dans mon quartier d'origine, à Lardenne, avec un
musicien qui jouait aussi de la clarinette, du cornet à pistons... Il
s'appelait le père Bonnet, et c'était un musicien populaire qui avait travaillé
dans le cinéma muet, au cinéma Les
Américains, une salle immense. Ce n'était pas un pianiste qui
accompagnait les films muets, mais tout un orchestre ! Quand le cinéma est
devenu parlant, ces musiciens se sont retrouvés au chômage, et il est devenu
musicien de bal. Il jouait tous les répertoires de bal à la mode, il était donc
obligé de jouer plusieurs parties, plusieurs instruments, violon, bandonéon,
saxophone... L'histoire des musiques urbaines populaires reste à faire. Ça
relativiserait l'image qu'on a des musiques paysannes, auxquels les ethnomusicologues se sont intéressés très tôt en
Europe, comme le
compositeur Béla Bartók, parce qu'il y avait dans le style, les structures
mélodiques et rythmiques, une espèce de conservatisme, une originalité propre à
ces cultures. Mais les musiques rurales ont été influencées aussi par les
apports urbains, depuis longtemps, et l'accordéon en est le cas typique.
Ce
grand brassage est toujours à l'œuvre aujourd'hui, et cette formation au DEM
que tu encadres en est un laboratoire vivant. Il serait intéressant d'aborder
maintenant la question du bilan, des enseignements que tu retiens de ces quatre
années d'expérimentation pédagogique. Mais d'abord les résultats des étudiants
sont-ils à la hauteur de vos espérances ?
La
première promotion comptait vingt-cinq étudiants : seize du domaine
occitan, sept du flamenco et deux de l'arabo-andalou. Parmi eux quatre ont
arrêté la formation en cours, et au bout de deux ans, quatorze ont obtenu
entièrement leur diplôme, toutes les UV du DEM. Ce fut un succès pour nous, on
ne s'y attendait pas. À la rentrée 2013, on a recruté dix-huit nouveaux
étudiants (dont douze du domaine occitan, cinq du flamenco et un du domaine
oriental), auxquels se sont ajoutés ceux qui avaient droit à une troisième année pour valider certaines
parties et finaliser leur diplôme. Nous sommes optimistes pour l’avenir !
À
quoi ouvre le DEM ?
C'est
un diplôme de fin d'études musicales de troisième cycle. Avec un DEM on est
considéré comme un bon musicien de niveau professionnel, et certains ont besoin
de ce diplôme pour intégrer une autre
formation d’ordre pédagogique, qui ne se fait pas au CRR, mais à l’Institut Supérieur des Arts de Toulouse,
qui comporte deux branches, l'isdaT / spectacle vivant et les Beaux-Arts pour
les arts plastiques. Ces organismes sont également en lien avec l'université,
avec des parties de cours qui ouvrent au statut d'étudiant. Plusieurs voies
sont possibles pour valider le diplôme d’Etat (DE) : Si on a déjà une expérience professionnelle dans
l'enseignement qui est reconnue, on peut faire ce qu'on appelle une valorisation des acquis de
l'expérience (VAE). Il faut constituer un dossier
solide, passer une épreuve devant un jury, après avoir justifié 1 800 heures
déclarées d'enseignement, ou 1 500 heures plus 300 heures d'intermittence du
spectacle. On
peut aussi entrer en formation, et être pendant deux ans formé à la pédagogie.
Là aussi, deux possibilités : être inscrit à l’Université avec le statut d'étudiant
en formation initiale, ou faire une formation continue si l'on exerce déjà le
métier d'enseignant ou de musicien par exemple. C'est un investissement assez
important.
Cela a posé question à ma
génération car nous venions du milieu « sauvage »
de la musique, et on ne connaissait rien aux cursus, aux démarches, etc.
Certains d’entre nous s’y sont attelés, et
aujourd'hui le parcours est mieux balisé. Personnellement, pour faire
reconnaître mon expérience pédagogique j'ai passé le DUMI -diplôme
universitaire de musicien intervenant- comme équivalence au DE, et j'ai ensuite passé directement le CA après des stages et des formations. Mais il y
a toujours eu dans les musiques traditionnelles le débat « pour ou contre
l'institutionnalisation ». Ce débat existe encore, il faut qu'il
s'entretienne d'ailleurs, je le comprends tout-à-fait, il y a des gens qui sont
vraiment hostiles à toute forme d'institutionnalisation, de diplôme. Justement,
s'il y a diplôme, il faut montrer qu'il y a du contenu, et que ça correspond à
une démarche ouverte.
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Avec Thomas Baudoin et Eline Tanis - Les Conversations musicales 2013, photo Thomas Guillin |
Il
y a deux versants : le côté connaissance des sources, la tradition, l'héritage,
et le côté création.
On
ne perd pas ça de vue, et ça se fait beaucoup dans la pratique collective. Ce
qui m'intéresse, c'est aussi de jouer hors les murs, de rencontrer des publics,
c'est un moteur pour être créatif par rapport à ces musiques-là.
Tu
disais qu'autrefois la musique était en rapport avec un milieu. On peut dire
qu'il y a dans cette communauté studieuse un milieu d'un nouveau type, à
travers une convergence d'intérêts au sens noble du terme, donc j'imagine que
les échanges doivent être permanents, et que celà crée de l'émulation.
Il
y a un réel potentiel. Quand on se retrouve dans un atelier avec vingt-cinq
musiciens, on a toujours l'occasion de se lier à un tel ou une telle pour
monter un projet. Je l'encourage, mais c'est le côté un peu négatif, pour moi
ils ne le font pas assez ! C'est peut-être une question d'organisation :
certains viennent de loin, de Montpellier, de
Bordeaux, alors tout le monde n'est pas toujours disponible sur le projet
collectif, et ne profite pas pleinement des échanges et des opportunités qu'il
peut y avoir. Je suis préoccupé aussi par le fait que, même si la
question vient forcément sur le tapis, on n'a pas tellement le temps de
travailler avec les étudiants sur leur projet professionnel, ce vers quoi ils
peuvent s'orienter. Tous les étudiants ne connaissent pas ce qu'est une
structure professionnelle, une association... Il n'y a pas de cours spécifiques,
et c'est un point d'inquiétude pour moi de voir que beaucoup de celles et ceux
qui sont passés par cette formation n'ont pas forcément assez d'outils pour
s'assurer qu’en sortant, ils vont avoir une activité professionnelle. Pour certains c'est tout-à-fait l'inverse, surtout pour la
première promotion, où l'éventail des âges était très ouvert — de dix-huit à
cinquante-six ans —, certains occupant le terrain associatif depuis longtemps.
Mais pour la seconde promotion l'écart s'est resserré, et l’âge ne
dépasse pas les quarante ans, avec beaucoup de
jeunes. En même temps j'observe que les compétences ne sont pas nécessairement
liées à l'âge ; certains très jeunes ont les outils et se prennent en main,
tandis que d'autres plus âgés sont musiciens mais ne connaissent pas les
rouages... On ne peut attendre dans les musiques traditionnelles aujourd'hui
qu'un producteur se présente, il faut vraiment mettre des choses en place,
c'est une problématique pour les professionnels, qui passent beaucoup de temps
à s'organiser eux-mêmes. J'ai discuté il n'y a pas longtemps avec Michel le
Meur, musicien du Lot, qui est très méthodique ; il avait organisé son temps de
travail en un tiers de déplacements, un tiers à s'occuper uniquement de son
statut d'intermittent et un tiers de pratique musicale, entre les répétitions
et les concerts.
S'occuper
de son statut d'intermittent, c'est aussi chercher des concerts, c'est les
contacts, c'est très chronophage, mais prioritaire.
Chronophage
c'est le mot ! Mon second souci par rapport à l'avenir des étudiants, c'est que
certains ne vont utiliser ce fonds musical que partiellement. Par exemple ils
sont musiciens occitans mais professionnellement ils vont faire de la musique
irlandaise, ou s’ils sont chanteurs avec tout un répertoire sur le domaine
occitan ou flamenco ils vont faire finalement de la chanson française, ou du
médiéval, parce que c'est alimentaire et plus facile, car il y a plus de
marché. Le but de cette formation, c'est que les gens professionnalisent ces
musiques qu'on enseigne et qu'ils les diffusent au maximum, parce qu'il nous
faut des professionnels pour les diffuser. Mais économiquement, apparemment, ce
n'est pas évident.
Est-ce
que beaucoup d'étudiants sont attirés par la recherche avec la musique
électroacoustique ?
On
a travaillé avec Bertrand Dubedout, professeur au CRR, car on avait la chance
d'avoir des étudiantes en commun, des
musiciennes basques, à la fois étudiantes en écriture et en électroacoustique
et au département de musiques traditionnelles, qui ont fait le lien. Certains ont été intéressés, une
étudiante a proposé dans un de nos spectacles
la diffusion d'une partie de musique
électroacoustique. C'est une sensibilisation, certains ont été touchés et
j'espère que ça produira quelque chose. Par ailleurs il y a
des personnes qui ont un contact très facile dans un collectif, qui vont très
vite brasser, organiser des choses, tandis que d'autres sont un peu plus
repliés.
Tu
as toujours des contacts avec la première promotion ?
Bien
sûr, on les invite souvent. Par exemple le musicien type qui en un rien de
temps développe une activité incroyable, c'est Carlos Valverde : sitôt arrivé à
Toulouse, il fonde un groupe, des ateliers, il a un « truc »
communicatif, c'est un Brésilien ! Les portes s'ouvrent devant lui, il a été
invité dans des festivals alors qu'il était là depuis quelques mois... Il est
dans les musiques tout terrain, les transes pifanos, il a monté des
groupes avec la danse, avec l'animation, en concert partout, il a enregistré...
Quand je le cite, c'est comme exemple. Je suis lié au travail d'une autre Brésilienne, Rita Macedo, qui a suivi
notre formation. La force de travail et le
sens du contact, cela compte beaucoup dans nos musiques.
Y-a-t-il
d'autres expériences pédagogiques similaires en France ?
Je
pense que la différence qu'on a à Toulouse par rapport à d'autres lieux, c'est
justement la transversalité, où plusieurs styles de musiques traditionnelles se
côtoient : flamenco, arabo-andalou, occitan… Les conservatoires sont pour la
majorité vraiment axés sur leurs musiques régionales, même en Bretagne. Dans la
banlieue parisienne et à Paris, tel conservatoire est sur l'Afrique de l'Ouest,
tel conservatoire sur le latino-américain, et je pense que nous sommes assez
originaux à ce sujet. De même nous ne nous adressons qu'au niveau de troisième cycle (préparation au DEM), alors que d’autres
conservatoires assurent également la préparation initiale. Ici des structures
ou associations le font déjà, comme le COMDT, Arpalhands à Colomiers, toutes
les académies de flamenco... c'est plus rare pour la musique orientale et
arabo-andalouse, mais il y a aussi des initiatives : Brahim Dhour, qui
est un ancien étudiant, anime des ateliers à la MJC
d'Empalot à Toulouse depuis des années.
Nous
avons une association des enseignants de musiques traditionnelles (AEMDT), où
on échange, et où des chercheurs qui étudient la transmission de la musique
dans certains contextes viennent aux assemblées générales. Entre ceux qui travaillent sur les musiques
du monde et ceux qui travaillent sur les musiques régionales, les
problématiques se croisent. Dans les conservatoires qui enseignent les musiques
régionales, il y a une ouverture quand même, par exemple dans la Creuse où
existe un atelier de musique arabo-andalouse... dans la Creuse... c'est
intéressant ! En milieu urbain, il faut prendre en compte les musiques du
monde, bien sûr, mais on ne peut pas toutes les enseigner, toutes les
illustrer. Question de moyens.
J’ai
adoré le travail d'un ami qui s'appelle Martial Pardo, qui dirige le
Conservatoire de Villeurbane, un conservatoire très pointu sur les musiques du
monde, les musiques actuelles, le jazz. Martial Pardo vient de Caen, où il
avait monté une opération qui mettait en valeur les musiciens de la ville issus
de l'immigration. Il découvrait tel musicien chinois que personne ne
connaissait, tel Portugais qui jouait la musique de chez lui, il les mettait
sur scène, et à la fin il a publié un livre-disque, Le tour du monde en
vingt-cinq voisins. Il a des origines espagnoles et nord-africaines, il est
très sensible aux musiques du Maghreb.
Depuis que je suis là, je
suis en contact avec des musiciens maghrébins, je rêverais qu'il y ait un
projet qui leur soit consacré un jour comme cela s'est fait à Lyon, où le centre
des musiques traditionnelles avait fait un disque sur les musiciens maghrébins
de la ville.
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Fête de la musique 2012 - photo COMDT |
À
Toulouse il y a un potentiel, une recherche à faire... Il y a des musiciens
partout, dans toutes les cultures ! Ce sont des gens qui sont là à côté, et si
tu vas faire un truc sur la musique vénézuélienne, tu ne vas pas faire venir
quelqu'un du Venezuela, alors que tu as peut-être quelqu'un, là, qui joue cette
musique. Après, tu peux faire venir tous les groupes de musiques du monde de la
terre, ce que font d'ailleurs de nombreux festivals, mais il y a aussi des gens
qui vivent là, et on ne le sait même pas ! En tout cas moi, ça m'intéresserait
!