jeudi 29 septembre 2016

Jean-Christophe Maillard

photo Marie-Christine Maillard

Nous éditons aujourd’hui ce qui sera la dernière publication de la revue Pastel  avec un hommage à notre cher ami Jean-Christophe Maillard, chercheur et musicien d’exception, qui fut membre de son comité de rédaction et rédacteur lui-même pendant de longues années. Jean-Christophe nous a quittés en juillet 2015, et nous sommes nombreux, très nombreux à regretter sa présence généreuse, son humour infatigable et ses musiques, toutes ses musiques.
Vous trouverez ici rassemblés quelques témoignages et les articles écrits par Jean-Christophe, série qui fut inaugurée avec son interview par Luc Charles-Dominique, alors rédacteur en chef de la revue, parue dans Pastel n° 27 au premier trimestre 1996.

Bien évidemment le blog pastel-revue-musique.org restera ouvert et accessible. En attendant peut-être un nouveau projet éditorial…

    Maïlis Bonnecase, directrice du COMDT - septembre 2016

vendredi 6 mars 2015

Livraison du printemps :

Dominique Regef  dialogue avec Xavier Vidal à propos de son travail de pédagogue et de coordonnateur du département de musiques traditionnelles  du Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse, Clémence Montariol analyse les propos de la table ronde sur l’accompagnement du chant qui s’est déroulée lors des dernières Conversations musicales, Philippe Sahuc et Eline Rivière nous livrent deux chroniques, l’une consacrée à la mission Brunot, enquête en Corrèze d’août 1913, et l’autre au dernier CD d’un duo bien actuel, La Forcelle. Bonne lecture !

Lestrille de La Forcelle



Sur la pochette, deux musiciens, quatre pieds qui ne touchent pas terre... et pourtant, dans l’album Lestrille, le duo La Forcelle composé de Lolita Delmonteil-Ayral (accordéons diatoniques, chant) et de Camille Raibaud (violons) assume et incarne un ancrage musical aux origines et influences multiples, de la Galice à la Suède en passant bien sûr par la Gascogne, moelle épinière de leur répertoire à danser.




    Dès la première écoute, on peut remarquer une prise de son fine et nuancée qui laisse s’exprimer les timbres complémentaires des instruments. Les arrangements participent également à un son bien équilibré qui permet de dévoiler tantôt de fines harmoniques du violon, tantôt d’entendre la respiration du soufflet de l’accordéon, sans pour autant se cantonner dans un son feutré ou systématiser un son minimaliste. Le frappement du pied, bien présent tout au long du CD, ajoute une dynamique à leur musique à danser et produit même un effet de basse notamment sur le rondeau Lestrille.


Extrait à écouter : Suite de rondeaux


    Le CD s’ouvre sur une Suite de rondeaux qui met particulièrement à l’honneur les talents de variation des deux musiciens, tant au niveau rythmique que mélodique. Leurs arrangements proposent, à chaque tour de mélodie, voire à chaque changement de partie, une nouvelle couleur, un nouveau regard sur le thème interprété. L’oreille pourra également être attirée par les effets de doubles pistes utilisés dans cette suite. Sur le troisième thème apparaissent deux pistes de violon à l’octave qui se rejoignent dans les aigus à l’unisson pour introduire le dernier thème. Cet enchaînement crée une progression particulièrement dynamique renforcée ensuite par un ostinato de basses d’accordéon bien trouvé et qui « dépoussière » en beauté cet air traditionnel connu d’après Ulysse Salesses. Les deux musiciens semblent avoir bien tiré avantage des possibilités qu’offre un enregistrement en studio : en plus de légers effets de réverbe bien dosés faisant vibrer de belles mélodies comme Ivana, des doubles pistes utilisées à bon escient, un auditeur patient pourra dénicher à la fin une piste cachée utilisant un effet qui le transportera dans une autre temporalité.
    Au fil des écoutes, la palette de nuances s’élargit et dessine en même temps les contours d’une musique signée, reconnaissable : de la simplicité d’airs à l’unisson bien balancés à la complexité des ornements, des modulations et des harmonisations toujours en mouvement, les musiciens proposent leurs interprétations en assumant l’alternance du matériau traditionnel revisité et des airs de composition plus récents.
    On pourrait cependant regretter de ne pas entendre plus tôt (et plus souvent) la voix de Lolita Delmonteil-Ayral qui propose, en clôture du CD, une belle interprétation du thème traditionnel L’amolaire. La première partie du refrain, qui peut notamment se voir transcrite « E zu tsu tsu tsu tsu 1 » dans des versions déjà enregistrées, est dans cette interprétation ornée d'un « r » roulé : « E ru tsu tsu tsu tsu »2. Ce détail a priori insignifiant vient selon moi renforcer et parfaire l’harmonie de ce refrain qui fait entendre le son, par mimétisme, de la lame du couteau sur la pierre à aiguiser de l’amolaire (qui en occitan signifie le rémouleur).
    En refermant le CD, cet objet prend des allures de carton d’invitation pour aller les (re)découvrir en bal…


Éline Rivière

 
Notes
1. Aval-aval, Musiques d’Olt, chants et instruments en Quercy, Cardaillac : AMTP Quercy, [2009]

2. Une autre version féminine chantée par Alberte Forestier dans le livre-CD Voix traditionnelle d’aujourd’hui (La Granja, [2014]), présente  un « r » non roulé. Une version avec un « r » légèrement roulé  a été chantée par Guillaume Lopez dans le CD Courant d'air de Cyrille Brotto (2004).

Les Conversations musicales 2014, Toulouse.
Table ronde autour de l’accompagnement

par Clémence Montariol

Cette troisième édition des Conversations musicales nous a réunis autour d’un nouvel axe de réflexion tout aussi passionnant que celui des deux éditions précédentes : il s’agit de l’accompagnement, et en particulier celui du chant. De fait, autour de cette table ronde, étaient présents des musiciens venant de répertoires que l’on appelle traditionnel ou ancien et qui chacun vit et expérimente la dimension du concert : Vittorio Ghielmi (musicien, compositeur, professeur notamment au Mozarteum de Salzburg en Autriche, Franck Ferrero (musicien et formateur en musique traditionnelle occitane), Dominique Regef (improvisateur, compositeur, spécialiste d’instruments à cordes frottées). Pour animer cette table ronde était également présent Marcel Pérès (musicien, chercheur, directeur artistique de l’Ensemble Organum et du CIRMA à l’Abbaye de Moissac).


Photo Thomas Guillin

Il s’agissait de mettre en évidence l’interactivité présente entre les univers trop souvent cloisonnés des musiques anciennes et traditionnelles mais aussi d’un réel échange avec le public qui a justement questionné cette notion de « tradition » pour clôturer cette table ronde.
La thématique de l’accompagnement est intéressante puisqu’elle porte en elle-même une vaste pluralité de concepts. Le mot lui-même « accompagnement » a, selon les contextes, différentes acceptions. L’accompagnement n’a pas toujours signifié ce que le XIXe siècle a forgé dans l’imaginaire de chacun : un piano « accompagnant » une voix soliste. Accompagner est même en soi une notion assez récente. En effet, elle compte à peine deux siècles derrière elle. Par conséquent, si l’on s’intéresse aux termes utilisés jusqu’à cette date pour parler d’« accompagnement », on constate que l’on employait plutôt « consoner », « concerter », « faire du déchant », etc. Tous ces termes regroupent un seul concept primordial : celui de faire de la musique ensemble. C’est pourquoi ils peuvent aussi bien être appliqués à la musique ancienne qu’à la musique traditionnelle (puisque seule la manière dont le répertoire est transmis varie).

Franck Ferrero nous a illustré ce que pouvait être l’accompagnement dans certaines formes de musiques traditionnelles. Le terme d’accompagnement est-il d’ailleurs tout à fait adéquat en ce qui la concerne ? Lorsqu’on emploie ce terme, on pense tout de suite à une mélodie principale et un ou plusieurs éléments secondaires venant se greffer en-dessous de celle-ci. Cependant, il existe des cas davantage méconnus mais non moins fréquents dans la musique traditionnelle : celui du chant en repons ou encore celui du chant accompagné d’un violon par exemple. Pour chacun de ces cas, deux groupes d’éléments musicaux sont présents et ont la même importance dans la musique. Le terme d’accompagnement reste donc insatisfaisant. En effet, ici, rien ne peut fonctionner seul ; il y a toujours interaction et interdépendance.


Photo Thomas Guillin


Pour Dominique Regef, ce que l’on nomme accompagnement ne sert pas, en réalité, à embellir une mélodie. Il est en totale complémentarité avec elle. Malgré les apparences, la musique à bourdon dans la musique traditionnelle en est un parfait exemple. Prenons par exemple le cas de la vielle à roue où l’équilibre entre la voix et le bourdon doit absolument être de mise. C’est ce bourdon (que l’on pourrait qualifier de « rugueux ») qui permet d’inciter la voix à atteindre un timbre particulier. L’harmonie est alors réduite à sa plus simple expression ; l’oreille doit analyser la distance entre chaque note chantée et le bourdon. Dominique Regef nous précise que la vielle à roue a d’ailleurs été inventée, en premier lieu, pour accompagner le chant, son nom était alors « organistrum ».
L’art de l’accompagnement est, en outre, celui de l’unité et de l’énergie. Dès lors, l’art du suonar parlante exposé par Vittorio Ghielmi trouve parfaitement sa place dans cette discussion. Il est ici question d’une pratique visant à utiliser l’instrument de façon à ce qu’on ait l’impression qu’il « parle ». Pour illustrer cet art, le compositeur et violoniste Niccolò Paganini (1782-1840) semble le plus évocateur. En effet, à travers son répertoire, tout est destiné à reproduire des effets vocaux ; la virtuosité n’y est donc jamais gratuite. Vittorio Ghielmi nous rappelle d’autre part que tous les traités anciens mènent au même constat : l’instrument de musique doit imiter la voix, il est là avant toute chose pour « parler » et non pas pour « sonner ». Dès lors, la musique ancienne néglige la ligne mélodique « pure », sans incidents, dépourvue de fluctuations. Pour parvenir à atteindre une mélodie qui imiterait la voix, il faut y insérer des « consones » comme il en existe dans la parole. Ce sont elles qui, comme dans le langage parlé, provoquent l’articulation. Cette dernière va permettre de comprendre l’avant et l’après qui se rencontrent dans un présent. Il faut briser dans une continuité pour mieux discerner et mieux distinguer. Soulignons qu’en ce qui concerne l’Antiquité, imiter la voix signifie avant tout imiter celle de Dieu, celle d’Adam, au demeurant la voix de l’homme parfait. Il est par ailleurs important de noter que dans toutes les traditions, le son n’est rien d’autre que ce qui unit la matière et l’esprit, la terre et le ciel.

    L’accompagnement est donc l’art de concerter, l’art de faire vivre. Marcel Pérès nous rappelle qu’en réalité, les barrières du chant et de l’accompagnement n’existent pas. Si l’on prend l’exemple de l’organum au XIIe siècle, on s’aperçoit qu’un chant va devenir la matrice d’autre chose ; lorsqu’un chant a du potentiel, on s’en sert pour créer autre chose. Dans ce cas, il s’agit de chanter en valeurs très longues pour que chaque son de la mélodie en génère d’autres. De fait, on finit par en oublier le chant qui est à l’origine de la pièce.
    L’accompagnement traduit donc un « être ensemble », le concert du lendemain avec les polyphonies sardes nous l’a clairement illustré : quatre voix qui forment un bloc compact en-dehors duquel aucune d’entre elles ne pourrait vivre isolée.

    Dans la musique traditionnelle comme dans la musique ancienne, le terme d’« accompagnement » n’a pu être totalement endossé par les intervenants. En effet, il a semblé de prime abord que ce terme pouvait paraître réducteur, ceci du fait que celui-ci comporte bon nombre de conceptions biaisées qui circulent dans l’imaginaire de chacun. Il a donc été nécessaire de rappeler que, paradoxalement, l’accompagnement ne signifiait pas seulement « accompagner ». En effet, tournent autour de lui une infinité de façons de vivre la musique et surtout de la vivre ensemble.
Cette troisième édition des Conversations Musicales a su questionner un concept qui aurait pu apparaître sans réserves possibles, et de fait a brillamment démontré un élément important : la définition d’un terme ne peut être ni arrêtée, ni dogmatique, mais doit au contraire toujours être discutée.

Clémence Montariol
Étudiante en master 2 d’ethnomusicologie
Université Toulouse-Jean-Jaurès

La mission Brunot, août 1913
Fin d’un bel été en Corrèze

Je vois au moins trois façons d’apprécier cet ensemble constitué d’un fascicule mêlant à parts égales textes et images et d’un disque (c’est ce terme qui est employé et j’ai à cœur de le respecter).
La première façon s’attacherait aux trente-cinq pièces, soit aux trente-cinq séquences enregistrées il y a plus d’un siècle à Chaunac (Naves), Le Saillant, Voutezac, Allassac, Objat, Brive, Argentat, La Chapelle-Saint-Géraud… On en trouve les transcriptions intégrales accompagnées, quand jugé nécessaire, de traductions. Les musicologues pourront apprécier des façons de chanter la plupart du temps a cappella, dans un cas avec accompagnement à l’accordéon. Les philologues y trouveront aussi de quoi nourrir leur curiosité, tant la qualité de préservation du support d’enregistrement rend les parlers et paroles de chanson très audibles.
Or, on peut aussi s’attacher à l’histoire elle-même, celle de la Mission Brunot, racontée dans la première partie du fascicule. Ferdinand Brunot, de la même promotion qu’Emile Durkheim à Normale Sup, a joué un rôle important depuis le pôle parisien de constitution des « Archives de la parole », La Sorbonne. On a accès au contexte scientifique dans lequel cette enquête s’est organisée, celui de naissance de la phonétique des sons, d’où un certain protocole d’enregistrement. On a aussi accès au contexte social local dans lequel les contacts nécessaires se sont noués, passant notamment par le monde des félibres du Limousin.




Enfin, et ce n’est pas son moindre intérêt, l’enquête s’est déroulée au mois d’août 1913, soit un an avant le déclenchement de la grande boucherie dont le centenaire est célébré cette année. En amont des histoires de soldats dont tant de traces nous sont adressées depuis quelques mois, comme il est bon d’entendre des voix de femmes de chambre, de cuisinières, d’hôtelières, de bouchères (de vraies !), d’instituteurs, de cultivateurs, de chanteuses, de tailleurs, d’enfants, de repasseuses, de porteuses de journaux, de métayers, de propriétaires, de clercs de notaires, de couvreurs… Et de découvrir, à la faveur d’un raté de fin d’enregistrement que la préoccupation du temps pouvait être de travailler aux champignons pour une femme qui se retrouvait seule… en chantant ?

Philippe Sahuc

Xavier Vidal : un fort en DEM


Propos recueillis par Dominique Regef



photo COMDT
Le dernier entretien avec Xavier Vidal remonte au Pastel no 58, en l'an de grâce 2006. Xavier Vidal concluait son passionnant tour d'horizon sur le développement des musiques traditionnelles en désignant la formation des musiciens et des acteurs culturels comme un enjeu crucial. Il évoquait alors la mise en place d'un DEM (Diplôme D’Études Musicales) au niveau régional, en supposant que les structures d'enseignement s'entendent, et qu'elles puissent s'appuyer sur des personnes ressources. « Un gros enjeu pour les dix ans à venir »... Voilà, nous y sommes !



Nous y sommes... et tu as pu concrétiser ce projet en 2011. Mais pourquoi un DEM, et pourquoi Toulouse ?

Cela s'est concrétisé à Toulouse, où il y avait un rapprochement entre le Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles (COMDT) et le Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR) depuis plusieurs années. Le CRR a une histoire longue, et depuis sa création n'avait pas eu l'occasion d'intégrer les musiques traditionnelles. Mais en même temps il existe un DEM coordonné entre plusieurs conservatoires au niveau régional dans certaines disciplines comme le piano et d'autres instruments, mais pas pour les musiques traditionnelles, et il n'y a pas eu encore d'entente entre les conservatoires de la région. Il y a des pôles, à Tarbes, Montauban, Toulouse, dans le Tarn, l'Aveyron, des écoles d'enseignement spécialisé et à rayonnement départemental qui sont habilitées à organiser ces formations et délivrer ces diplômes, mais il manquait quelque chose au niveau régional, parce que plus c'est régional, plus il y a de moyens, d'abord pour aller rencontrer ces musiques sur les terrains, où il y a un potentiel d'intervenants plus large qu'à Toulouse avec les seuls formateurs du CRR.



Peux-tu me préciser le contenu d'un DEM, son champ d'investigation ? 

Pour l'obtention d'un DEM, la formation est organisée au niveau national par domaines de compétences (ou unités de valeur), le socle principal étant la pratique instrumentale ou vocale, complété par la pratique collective et la culture musicale, à un niveau de 3ème cycle, avec, lors de l’examen final au bout de deux ou trois ans, la production de quarante minutes de musique, qui seront une carte de visite musicale.  Pour ne pas enfermer les gens dans la pratique d'un instrument ou d'un style, il est proposé qu’ils puissent présenter dans ce programme au moins une deuxième spécialité, avec une grande latitude de choix. Ils peuvent choisir une autre posture sur leur instrument, par exemple préparer un concert dans leur partie principale, et dans leur partie complémentaire accompagner la danse, le chant, jouer le répertoire d'une autre aire culturelle, jouer plusieurs instruments, un instrumentiste peut présenter du chant, un chanteur peut être danseur...
Il faut que les musiciens traditionnels montrent leur différence par rapport au musicien d'orchestre qui est souvent formé principalement comme interprète sur son instrument. Un musicien dit des musiques traditionnelles doit avoir une ouverture. Il va peut-être présenter dans son programme une improvisation à un moment donné, ou une composition. Il va aussi, bien sûr, présenter des choses qui sont en rapport avec les sources, puisque les musiques traditionnelles sont l'objet de la formation.



La formation instrumentale ou vocale est importante ? 

Journées Portes Ouvertes 2012 du COMDT - photo COMDT
Oui, et c'est ce qui est dominant dans l'évaluation et dans la formation. Théoriquement les étudiants ont droit à une heure par semaine dans leur spécialité. Il faut valider aussi ce qui est complémentaire, c'est-à-dire la culture musicale. Le domaine occitan est abordé au sens large : quand on parle des pays d'oc, on va parler de la Catalogne, de l'Aragon, du Berry, de la Bretagne, et au-delà de l'Europe. Ils travaillent aussi sur des ateliers de musique arabo-andalouse et orientale, et sur le flamenco. Ils ont dans leur examen des commentaires d'écoute à faire sur ces trois aires culturelles. Sur la culture musicale, ils ont une recherche personnelle à faire, dont ils proposent le sujet. Ce n'est pas de l'ethnomusicologie ou de la recherche universitaire, mais ils doivent prouver qu'ils savent utiliser les outils, qu’ils savent ce qu'est une biographie, une compilation d'enregistrements, une recherche, présenter des collectages, de la pratique actuelle, comprendre dans quelle histoire se trouvent les musiques dites traditionnelles. La troisième UV, c'est la pratique collective dans un atelier, lors de projets, d’événements qu'on nous propose. En général les étudiants, à leur niveau d'entrée, n'ont aucun mal à justifier d'une pratique collective, car la plupart jouent déjà dans des groupes, certains sont même professionnels, ont un statut de musicien, d'intermittent du spectacle, jouent dans des compagnies, et/ou interviennent en amateurs dans l'animation de bals, de réseaux associatifs.



La pratique collective se fait-elle par famille d'instruments ? 

Ils pratiquent hors les cours, et l'atelier de pratique collective que je propose est accessible à tous. Evidemment ce n'est pas évident de se retrouver avec quatre guitaristes flamenco, deux bodegas (cornemuse de la Montagne noire), un graile (hautbois du Haut-Languedoc), donc on se base beaucoup sur la voix et la danse. Pour les musiques elles-mêmes, les étudiants font des propositions pour monter des choses dans leur style, et il y a parfois des croisements, des mises en miroir, par exemple un thème arabo-andalou avec une polka limousine... mais il ne s’agit pas de métissage. C'est un atelier hebdomadaire qui nous permet de monter des programmes quand nous sommes invités sur des manifestations, comme l'année dernière sur le Festival Convivencia, où nous avons proposé un parcours en lien avec le thème du Canal du Midi, avec un narrateur.



Ce qui vous permet de ne pas forcément jouer tous ensemble, de faire des sous-groupes... 

Oui, nous sommes une vingtaine, et même si nous avons quelques thèmes ensemble, nous jouons surtout en petites formules qui se succèdent, dans des registres de musique acoustique. Quand nous nous retrouvons sur le collectif, c'est surtout sur le chant et le rythme. Les « flamencos » amènent beaucoup au niveau de l'accompagnement rythmique, les « arabo-andalous » au niveau de la modalité, et les « occitans » au niveau de la danse, du rythme, parce qu'après le concert vient le bal.





En dépassant le côté purement régional, en plaçant d'emblée l'Occitanie dans une sphère culturelle méditerranéenne, européenne, et même au-delà, on renoue des relations oubliées, qui nous apprennent peut-être le plus sur nous-mêmes... 

J’ai beaucoup appris à ce contact depuis trois ans. Je suis allé aux ateliers de flamenco qu'anime notre collègue Vicente Pradal, qui fait également un forum sur la culture flamenco. Le flamenco, c'est très compliqué. Pour être vraiment dans cette culture-là, il faut énormément pratiquer, écouter, mais on peut quand même être aficionado, essayer de comprendre les structures rythmiques, les structures mélodiques. Après, quand on met les choses en commun, on part sur le répertoire a priori le plus simple. Nous avons travaillé sur le fandango, puis sur le tango, sur du quatre temps, avec le chant. Si on attaque les bulerias, c'est plus compliqué ! C'est une sensibilisation pour les gens qui ne sont pas spécialistes.

C'est pareil pour la musique arabo-andalouse ou orientale. Marc Loopuyt, qui a notamment enseigné au Conservatoire de Villeurbane, propose un atelier où des spécialistes travaillent des pièces et les mettent ensuite à portée de tous pour au moins les comprendre et les pratiquer. Ce qu'il fait travailler en commun porte beaucoup sur la musique turque ; c'est le rapport au corporel et à la danse qui l'intéresse, il fait en même temps chanter, danser et jouer.

Pour le domaine occitan, Franck Ferrero et moi-même nous occupons des chanteurs, et de temps en temps nous organisons des stages en week-end avec des chanteurs invités, comme Guillaume Lopez, Pascal Caumont, Dany Dauba-Madier, Thomas Baudoin, Pierre Boissières, Emilie Manescau, Equidad Barès…
Le COMDT accueille et administre les cours de chant, de musique orientale et d’ethnomusicologie du département, et accueille également les cours de culture musicale depuis la rentrée 2013 et les cours de pratique collective depuis 2014 (qui sont eux administrés par le CRR). Les étudiants bénéficient également de ses locaux pour y travailler et participent à des actions de sensibilisation et de diffusion menés par le COMDT.  Il est à noter que le COMDT accueille également certains cours de l’isdaT pour les étudiants en DE de musiques traditionnelles (travail sur les sources et tutorat de chant).

Tous les étudiants, quelle que soit leur spécialité, peuvent intégrer les ateliers collectifs. Des flamencos viennent chanter occitan, des occitans font de la musique orientale, c'est ça qui est intéressant. Et même, dans l'idéal, on pourrait rêver qu'il y ait d'autres cultures représentées, en fonction de la réalité toulousaine, par exemple les musiques latino-américaines, les musiques d'Afrique de l'ouest.  Dans mon cours de culture musicale, on écoute les musiques du monde entier mais rien ne vaut le contact direct avec un musicien. Les étudiants font toujours un lien avec leur pratique. J'ai toujours dit qu'on ne peut pas comprendre les rondeaux du Savès si on ne s’intéresse pas aux musiques du monde.

À une époque — mais cela a changé depuis — existait un courant dans les musiques traditionnelles occitanes, et en allant parfois chez les musiciens je regardais leur discothèque, où il n'y avait que des disques de jazz moderne, et pas un seul disque de musiques du monde. Cela m'a toujours étonné. Personnellement c'est la découverte des musiques du monde, avec les disques du Musée de l'Homme, qui m'a motivé pour pratiquer la musique. Et encore aujourd'hui on découvre sur Internet des musiques qu'on ne connaît pas. Il y a une trentaine d'années, on cherchait dans les musiques ethniques une authenticité, un exotisme. Maintenant, la richesse c'est de découvrir les musiques traditionnelles en évolution. Récemment par exemple,  j'ai vu un film qui montre un bal mapouxea au Chili, c'était un peu techno mais superposé à une base de musique des indiens d'Amérique au niveau de la structure mélodique.



Xavier Vidal à la bodèga - Les Conversations musicales 2013, photo Thomas Guillin

Cela jette un regard différent sur l'identité occitane, qui est un élément fort chez beaucoup de musiciens. Comment est vécue cette évolution ? 

C’est un dialogue. On observe qu'il y a ce qu'on appelle une « musique occitane »... est-ce que cela signifie chanter en occitan ? C'est plus large que ça, mais dans ces nouvelles pratiques des musiques dites occitanes, ou traditionnelles, peu de gens ont des références sur les sources, sur l'histoire réelle des musiques populaires dans les pays d'oc. Même nous, notre génération, qui avons été collecteurs, n'en connaissons que des bribes. L'histoire des musiques populaires est très difficile à reconstituer, mais la recherche à ce niveau-là a beaucoup avancé. Il y a aujourd'hui des jeunes qui pratiquent sur la scène et qui connaissent leur milieu musical et culturel, mais beaucoup découvrent qu'il y a des sources et qu'il faut aller les chercher, ce qui n'est pas évident.



Ces sources sont de plus en plus numériques, immatérielles, et pourtant le contact des gens reste très important. 

C’est un vrai débat. D'un côté on dit aux étudiants qu'il faut être crédible, que pour enseigner les musiques traditionnelles, il faut avoir une légitimité par rapport aux sources. D'un autre côté, on a affaire à une génération qui n'a pas été celle des collecteurs. Les collecteurs ne se posaient même pas la question — ce qui ne les empêchait pas de réfléchir — car ils étaient confrontés à cette musique au contact des gens, de leur vie, ce qui leur apprenait beaucoup. Or maintenant, être crédible nécessite par exemple de connaître Alexis Capes, un vielleux landais. On cherche donc les enregistrements, et à partir d'éléments assez dispersés, on peut mener une réflexion. Mais bien sûr rien ne valait le contact avec Alexis Capes, de le voir jouer dans un bal et sur scène. Il faut donner de l'importance à la connaissance des sources, mais il ne faut pas tout mettre là-dedans. La connaissance de ces musiques c'est aussi, aujourd'hui, celle des pratiques actuelles par rapport à ces musiques, et les collecteurs peuvent être à leur tour des sources.



Les sources évoquent une fluidité, la musique a évolué selon les musiciens, chaque musicien a sa propre histoire... 

Il ne faut surtout pas considérer que la bourrée du « père machin » doit être jouée comme ça, et qu'on est légitime quand on interprète à l'identique. Cela a existé dans le mouvement des musiques traditionnelles — « est-ce que tu sais jouer la bourrée de Vidalenc à la manière de Vidalenc? ». Qu'on étudie les modes d'interprétation de ce musicien, d'accord, mais surtout qu'on s'en inspire pour en faire quelque chose de personnel. C'est vrai que les gens qui étudient cela ont dans leur interprétation une originalité, une authenticité, alors que ceux qui ne s'intéressent pas du tout aux sources croient être originaux, créateurs, mais ils font souvent des choses assez ordinaires.



L'imitation, en nous initiant à différents langages, serait donc un tremplin vers l'invention de notre langage propre, et en même temps on n'échappe pas à l'environnement musical actuel... 

Il serait intéressant de savoir pourquoi certains clichés sont repris dans les nouvelles musiques traditionnelles, car ils sont parfois pertinents. Par rapport au collectage, s'il n'y a aucun lien apparent, on s'aperçoit qu'en interrogeant les jeunes musiciens, c'est un choix conscient. Ils cherchent par exemple certaines formes mélodiques tendant vers le pentatonique, une espèce de transe dans le renouveau du bal, des ostinatos qui n'existaient que rarement dans la tradition, une mise en boucle, en spirale, et cela m'intéresse.



C'est d'autant plus intéressant que cela se pratique dans d'autres traditions, de manière spontanée dans la musique improvisée, et dans certaines compositions contemporaines, comme les musiques répétitives, elles-mêmes souvent inspirées des musiques ethniques. C'est une approche universelle et purement fonctionnelle, parce que venant du corps et parlant directement à l'âme. Si les cultures sont très éloignées, les oreilles sont a priori les mêmes, et sont capables, avec un peu d'entraînement, d'en percevoir l'essence. 

Par rapport à la tradition ancienne et aux sources, certains éléments ne sont à mon avis pas assez valorisés, par exemple l'élasticité du tempérament et du rythme. La tendance du renouveau s'oriente beaucoup vers les musiques actuelles, le métronomique, alors que dans la tradition, au contraire, il y a de l'élasticité dans la mesure du temps, et dans le tempérament aussi. Les anciens jouaient « faux ».



Faux mais juste ! 

Voilà, c'est ça ! Si dans une échelle certaines notes sont justes par rapport au tempérament égal, certains degrés sont un peu « tirés », un peu « entre ». Cela se pratique instinctivement au violon : on met le doigt au milieu, et on a tout de suite un mode particulier. Les chanteurs sont rarement dans le tempérament égal. Les nouvelles musiques traditionnelles sont attirées par le chant polyphonique, plus spectaculaire, mais dans la tradition il y a aussi la monodie, plus souple, qui n'est peut-être pas assez cultivée. C'est beau aussi la monodie !



La polyphonie a un côté collectif qui est émouvant, c'est un vrai partage. Dans la monodie il y a une liberté à laquelle on n'est plus guère accoutumés aujourd'hui. Cette idée de partage, on la retrouve à travers les baleti, où les concepts de bal et de concert se sont mélangés depuis quelques années : on écoute la musique et on danse dessus. 

Comme ça se fait dans les musiques actuelles, par exemple...



C'est un virage très marquant dans les musiques traditionnelles. Comment l'analyses-tu ? 

L'image du bal n'est plus du tout la même. Le folk ou les musiques traditionnelles ont voulu reproduire le bal. Le bal avec un espace organisé, avec un plancher et une estrade pour les musiciens, c'est un modèle qui a surtout été développé dans le bal ouvrier. Dans les concerts de musiques actuelles, j'ai vu par exemple un tremplin organisé par la ville de Toulouse, où les gens sont d'abord simples auditeurs, puis danseurs. Les salles n'ont pas de chaises, alors ça circule. Si les musiques traditionnelles se jouent beaucoup sur scène, leur force est d'être un peu « tout terrain », d'aller à la rencontre des publics, de côtoyer les gens à table, etc. Elles inventent d'autres contextes, hors de la scène et de la salle de concert. Si les musiques traditionnelles étaient vraiment populaires, elles seraient dans le quotidien des gens.



Les baleti, en s'orientant vers le spectaculaire, créent une accoutumance du public, qui conditionne l'écoute à la danse. Capter l'attention sur des chants et des musiques qui sont vraiment « à écouter », ça paraît de plus en plus difficile, non ? 

C'est sûr. Il y a une déperdition de l'écoute surtout quand on a le même registre, les mêmes couleurs au long du concert, parce que les gens zappent de plus en plus. Alors la musique devient un accompagnement, un paysage sonore de la fête, quelque chose d'un peu secondaire. Il faut donc attirer l'attention. Mais on peut travailler sur d'autres propositions, concevoir la musique de bal autrement, ce qu'on fait à la Granja, le lieu que j’ai contribué à créer à Soulomès, dans le Lot, il y a quelques années. Le musicien de bal est un moteur, un animateur, il prend la parole, sollicite les gens, mais une fois la danse lancée il se met en retrait, il est porté par le mouvement collectif, et c'est là que ça m'intéresse vraiment.
Je comprends néanmoins les groupes qui font du spectaculaire. Je ne parle pas des orchestres de variétés, avec des danseuses et des sections de cuivres, que les villes du Bas-Languedoc achètent l'été. C'est un peu comme à la télé, les gens ne dansent pas, ils regardent ! Le but, que ce soit spectaculaire ou pas, devrait être qu'il y ait toujours ce contact entre les musiciens de bal et les danseurs. Je crois que généralement ça se fait. Mais si les musiques traditionnelles sont méconnues et peu diffusées, les musiciens traditionnels se satisfont un peu facilement de leur position en milieu protégé, dans nos réseaux associatifs, dans nos festivals...  Les groupes ou musiciens qui ont essayé d'infiltrer d'autres réseaux, comme celui des musiques actuelles, ont rencontré des milieux beaucoup plus durs dans leur économie et leur organisation. Entre tremplins et prestations promotionnelles gratuites, la concurrence est sévère. Dans les musiques traditionnelles, les musiciens professionnels sont davantage considérés, valorisés, ils sont connus et reconnus, font partie d'une famille, connaissent leurs réseaux. Avec un risque de repli, de manque de volonté d'aller vers les improvisateurs, le jazz, les musiciens classiques...


Intervention dans une classe de danse du CRR avec Bastien Fontanille

Cette ouverture, c'est justement un point fort de ce département de musiques traditionnelles. 

Oui, une transversalité par rapport au CRR, qui a une histoire un peu « académique ». En fait je me retrouve avec des collègues très ouverts et compétents dans leur discipline. Beaucoup m'ont lancé des perches, et chaque fois qu'on nous sollicite on essaye de faire quelque chose de transversal, on essaye de s'associer, par exemple avec la classe d'électroacoustique de Bertrand Dubedout, avec les musiques actuelles, avec le jazz et la venue de Bernard Lubat... J'ai été invité par les professeurs de violon - le violon c'est vraiment une école au sein du CRR, avec dix-sept professeurs de cordes ! J'ai fait des ateliers, travaillé à l'oreille sur des danses avec les enfants, et nous l'avons présenté aux journées portes ouvertes de l’établissement. Certains professeurs montrent une véritable ouverture -je ne puis citer tout le monde- et le responsable de ce département, Louis Merlet, qui est un improvisateur, joue avec nous sur une polka... Cela m’a surpris, et en même temps c'est logique, car ce sont des gens cultivés, musiciens, qui ont une certaine connaissance des musiques traditionnelles. Par ailleurs, il y a des professeurs qui se limitent à faire leur métier, à savoir former les musiciens d'orchestre, et ils le font bien, visent un objectif et ne mettent pas beaucoup d'énergie dans la démarche transversale, mais tout le monde ne peut pas être pareil, il faut être complémentaires. Le CRR n'est donc pas cette forteresse qu'on décrit souvent.



Comment s'est développée la mise en place de ce cursus ? 

Ce fut d'abord la volonté de Maïlis Bonnecase, directrice du COMDT, qui a travaillé à sa conception avec l'ancien directeur du Conservatoire, Gérard Duran (et donc la municipalité de Toulouse) à ce sujet pendant plusieurs années. On doit beaucoup à ces deux personnes-là. Jean-Christophe Sellin, élu à la ville de Toulouse en 2008, responsable de la musique en charge notamment du CRR, également Président du COMDT, s’est montré favorable à cette ouverture et la municipalité nous a suivis. Pascal Caumont, professeur au Conservatoire de Tarbes et moi-même avons été associés immédiatement à ce projet. Gérard Durand souhaitait que le flamenco soit intégré dans ce département, car il a des origines espagnoles et catalanes, et c'est un aficionado. Maïlis Bonnecase travaillait depuis longtemps sur les musiques arabo-andalouses et orientales au COMDT en organisant des stages et des concerts. Le domaine occitan était évidemment le premier légitime, et le seul sur lequel j'avais travaillé dans les écoles de musique, dans le Lot et l'Aveyron. Lorsque l’on m’a proposé de prendre la coordination de ce département dont l’ouverture était prévue en septembre 2011, j’ai accepté après une période de gestation et de réflexion. Habiter et travailler à Toulouse était quand même difficile pour moi, je suis un rural et le Lot était mon terrain. Mais ma femme travaillait à Toulouse depuis sept ans, et finalement je suis content de l'avoir fait car ça m'a fait évoluer, au niveau de mon boulot, du contenu des cours, de la connaissance de la musique et de nouveaux réseaux. Je ne dis pas que je tournais en rond dans le Lot, parce que je continue toujours à m'occuper de l'association La Granja, mais je me demandais parfois si je ne prenais pas trop de place là-bas. C'est moi qui avais créé les associations, les structures, l'enseignement, qui étais l'interlocuteur du conseil général pour les musiques traditionnelles.




C'est une suite logique de ton expérience de terrain, en somme... 

Exactement. J'ai toujours trouvé dans le Lot un terrain idéal. Quand je m'y suis installé il y a trente ans, il n'y avait rien, sauf des petites associations, des groupes folkloriques, et les musiciens n'avaient pas été collectés, enregistrés.



Mais avant d'aller dans le Lot, tu étais à Toulouse, au Conservatoire Occitan ?  

Oui, je suis natif de Toulouse, et je me suis donc rapproché de ma famille. Et si habiter dans un appartement au troisième étage en ville, sans jardin avec juste un petit balcon, c'est rude au début, mon était d’esprit était de m’adapter. Et puis Toulouse est une ville hyper dynamique. La grosse différence, c'est que quand je fais des projets, il y a des moyens ! Enfin, un minimum.  Dans le Lot, les trois quarts du temps c'était le bénévolat total. Ce département compte cent cinquante mille habitants, la ville de Toulouse cinq cent mille ! Tout le département du Lot c'est un quartier de Toulouse en fait ! Ça n'a rien à voir, c'est d'autres stratégies. La forêt de la Bronhe, près de la Granja, est en plein causse et compte deux habitants au km², c'est quasiment un désert. Notre permanent, Guillaume Boucher, me dit que s'il ne se bouge pas pour faire venir les gens, il peut se passer une semaine entière sans voir personne au siège de l'association.



Ça doit être un peu desséchant, au bout d'un certain temps, ce désert... 

C'est étrange, car en milieu rural les gens se concentrent autour des petites villes, au milieu d'espaces désertifiés. Globalement les campagnes se repeuplent, mais des territoires sont laissés à l'abandon. C'est aussi le fait qu'il y a moins de paysans. Certains concentrent leurs exploitations sur des dizaines, des centaines d'hectares, et ils doivent s'en occuper tout seuls. C'est rude. Et à côté, des petites villes, des petits villages où les gens se rapprochent des services publics, ce qui est normal.



Ce monde rural s'est transformé et a considérablement diminué, donc les musiques traditionnelles se sont diluées dans une nouvelle population, plus urbanisée. 

Comme ça change sociologiquement, la fonction de la musique change. La fonction de la musique, c'est très important. Les musiques d'origine paysanne avaient des fonctions particulières, qui s'inscrivaient en lien avec le travail, certains rituels, et on ne va en prendre qu'une partie, par exemple la musique à danser, et la restituer dans la société contemporaine ; donc automatiquement tout change. Si la fonction change, l'esthétique change. C'est très important à comprendre. Dans le monde paysan, on a collecté il y a plus de vingt ans des chanteurs de chants de moisson. Aujourd'hui ce n'est plus possible. Mais parfois on est surpris de la façon dont les choses se sont conservées dans la transmission orale de génération en génération, même si ce sont des choses qui n'ont plus de fonction. Elles se conservent parfois, mais c'est rare. C'est la fonction qui porte une expression.Le mouvement folk puis le courant des musiques traditionnelles se sont beaucoup intéressés à cette culture rurale, et pas assez à la culture ouvrière, qui était plus urbaine, plus moderne, plus en lien avec une société complexe, avec les apports des cultures de l'immigration, un dialogue entre cultures dites savantes, académiques, et cultures populaires. À mon avis, il y a une histoire phénoménale à faire sur l'expression musicale dans les villes, en milieu ouvrier... énorme sujet ! Ne serait-ce que pour la musique à danser, le bal ouvrier était aussi développé que les bals de campagne, sinon plus. J'ai découvert des programmes de Radio-Toulouse parmi les quelques archives qui ont été sauvées, car comme elle avait collaboré pendant la guerre avec Vichy, la Résistance a fait exploser le bâtiment entier, qui contenait un trésor de sources sonores. Quand on voit ce qui était diffusé, c'était uniquement de la musique en boucle, et dans tous les styles : des orchestres de danse avec des cuivres, ce qu'on appelle le bal champêtre 1900, aux orchestres de musette avec une couleur parisienne mais aussi auvergnate. Il y avait la figure du toulousain, venant d'un milieu ouvrier, qui connaissait à fond l'opérette, l'opéra, et aussi les musiques de l'immigration, avec les grands accordéonistes italiens des années 20-30, les Catalans avec la sardane... Et il y avait les music-halls...

Intervention à l’Hôpital d’enfants de Purpan
avec Chloé Dedieu et Amine Tilioua
J'ai commencé la musique au violon, dans mon quartier d'origine, à Lardenne, avec un musicien qui jouait aussi de la clarinette, du cornet à pistons... Il s'appelait le père Bonnet, et c'était un musicien populaire qui avait travaillé dans le cinéma muet, au cinéma Les Américains, une salle immense. Ce n'était pas un pianiste qui accompagnait les films muets, mais tout un orchestre ! Quand le cinéma est devenu parlant, ces musiciens se sont retrouvés au chômage, et il est devenu musicien de bal. Il jouait tous les répertoires de bal à la mode, il était donc obligé de jouer plusieurs parties, plusieurs instruments, violon, bandonéon, saxophone... L'histoire des musiques urbaines populaires reste à faire. Ça relativiserait l'image qu'on a des musiques paysannes, auxquels les ethnomusicologues se sont intéressés très tôt en Europe, comme le compositeur Béla Bartók, parce qu'il y avait dans le style, les structures mélodiques et rythmiques, une espèce de conservatisme, une originalité propre à ces cultures. Mais les musiques rurales ont été influencées aussi par les apports urbains, depuis longtemps, et l'accordéon en est le cas typique.



Ce grand brassage est toujours à l'œuvre aujourd'hui, et cette formation au DEM que tu encadres en est un laboratoire vivant. Il serait intéressant d'aborder maintenant la question du bilan, des enseignements que tu retiens de ces quatre années d'expérimentation pédagogique. Mais d'abord les résultats des étudiants sont-ils à la hauteur de vos espérances ? 

La première promotion comptait vingt-cinq étudiants : seize du domaine occitan, sept du flamenco et deux de l'arabo-andalou. Parmi eux quatre ont arrêté la formation en cours, et au bout de deux ans, quatorze ont obtenu entièrement leur diplôme, toutes les UV du DEM. Ce fut un succès pour nous, on ne s'y attendait pas. À la rentrée 2013, on a recruté dix-huit nouveaux étudiants (dont douze du domaine occitan, cinq du flamenco et un du domaine oriental), auxquels se sont ajoutés ceux qui avaient droit à une troisième année pour valider certaines parties et finaliser leur diplôme. Nous sommes optimistes pour l’avenir !




À quoi ouvre le DEM ? 

C'est un diplôme de fin d'études musicales de troisième cycle. Avec un DEM on est considéré comme un bon musicien de niveau professionnel, et certains ont besoin de ce diplôme pour intégrer une autre formation d’ordre pédagogique, qui ne se fait pas au CRR, mais à  l’Institut Supérieur des Arts de Toulouse, qui comporte deux branches, l'isdaT / spectacle vivant et les Beaux-Arts pour les arts plastiques. Ces organismes sont également en lien avec l'université, avec des parties de cours qui ouvrent au statut d'étudiant. Plusieurs voies sont possibles pour valider le diplôme d’Etat (DE) : Si on a déjà une expérience professionnelle dans l'enseignement qui est reconnue, on peut faire ce qu'on appelle une valorisation des acquis de l'expérience (VAE). Il faut constituer un dossier solide, passer une épreuve devant un jury, après avoir justifié 1 800 heures déclarées d'enseignement, ou 1 500 heures plus 300 heures d'intermittence du spectacle. On peut aussi entrer en formation, et être pendant deux ans formé à la pédagogie. Là aussi, deux possibilités : être inscrit à l’Université avec le statut d'étudiant en formation initiale, ou faire une formation continue si l'on exerce déjà le métier d'enseignant ou de musicien par exemple. C'est un investissement assez important.

Cela a posé question à ma génération car nous venions du milieu « sauvage » de la musique, et on ne connaissait rien aux cursus, aux démarches, etc. Certains d’entre nous s’y sont attelés, et aujourd'hui le  parcours est mieux balisé. Personnellement, pour faire reconnaître mon expérience pédagogique j'ai passé le DUMI -diplôme universitaire de musicien intervenant- comme équivalence au DE, et j'ai ensuite passé directement le CA  après des stages et des formations. Mais il y a toujours eu dans les musiques traditionnelles le débat « pour ou contre l'institutionnalisation ». Ce débat existe encore, il faut qu'il s'entretienne d'ailleurs, je le comprends tout-à-fait, il y a des gens qui sont vraiment hostiles à toute forme d'institutionnalisation, de diplôme. Justement, s'il y a diplôme, il faut montrer qu'il y a du contenu, et que ça correspond à une démarche ouverte.


Avec Thomas Baudoin et Eline Tanis - Les Conversations musicales 2013, photo Thomas Guillin


Il y a deux versants : le côté connaissance des sources, la tradition, l'héritage, et le côté création. 

On ne perd pas ça de vue, et ça se fait beaucoup dans la pratique collective. Ce qui m'intéresse, c'est aussi de jouer hors les murs, de rencontrer des publics, c'est un moteur pour être créatif par rapport à ces musiques-là.



Tu disais qu'autrefois la musique était en rapport avec un milieu. On peut dire qu'il y a dans cette communauté studieuse un milieu d'un nouveau type, à travers une convergence d'intérêts au sens noble du terme, donc j'imagine que les échanges doivent être permanents, et que celà crée de l'émulation. 

Il y a un réel potentiel. Quand on se retrouve dans un atelier avec vingt-cinq musiciens, on a toujours l'occasion de se lier à un tel ou une telle pour monter un projet. Je l'encourage, mais c'est le côté un peu négatif, pour moi ils ne le font pas assez ! C'est peut-être une question d'organisation : certains viennent de loin, de Montpellier, de Bordeaux, alors tout le monde n'est pas toujours disponible sur le projet collectif, et ne profite pas pleinement des échanges et des opportunités qu'il peut y avoir.  Je suis préoccupé aussi par le fait que, même si la question vient forcément sur le tapis, on n'a pas tellement le temps de travailler avec les étudiants sur leur projet professionnel, ce vers quoi ils peuvent s'orienter. Tous les étudiants ne connaissent pas ce qu'est une structure professionnelle, une association... Il n'y a pas de cours spécifiques, et c'est un point d'inquiétude pour moi de voir que beaucoup de celles et ceux qui sont passés par cette formation n'ont pas forcément assez d'outils pour s'assurer qu’en sortant, ils vont avoir une activité professionnelle. Pour certains c'est tout-à-fait l'inverse, surtout pour la première promotion, où l'éventail des âges était très ouvert — de dix-huit à cinquante-six ans —, certains occupant le terrain associatif depuis longtemps. Mais pour la seconde promotion l'écart s'est resserré, et l’âge ne dépasse pas les quarante ans, avec beaucoup de jeunes. En même temps j'observe que les compétences ne sont pas nécessairement liées à l'âge ; certains très jeunes ont les outils et se prennent en main, tandis que d'autres plus âgés sont musiciens mais ne connaissent pas les rouages... On ne peut attendre dans les musiques traditionnelles aujourd'hui qu'un producteur se présente, il faut vraiment mettre des choses en place, c'est une problématique pour les professionnels, qui passent beaucoup de temps à s'organiser eux-mêmes. J'ai discuté il n'y a pas longtemps avec Michel le Meur, musicien du Lot, qui est très méthodique ; il avait organisé son temps de travail en un tiers de déplacements, un tiers à s'occuper uniquement de son statut d'intermittent et un tiers de pratique musicale, entre les répétitions et les concerts.



S'occuper de son statut d'intermittent, c'est aussi chercher des concerts, c'est les contacts, c'est très chronophage, mais prioritaire. 

Chronophage c'est le mot ! Mon second souci par rapport à l'avenir des étudiants, c'est que certains ne vont utiliser ce fonds musical que partiellement. Par exemple ils sont musiciens occitans mais professionnellement ils vont faire de la musique irlandaise, ou s’ils sont chanteurs avec tout un répertoire sur le domaine occitan ou flamenco ils vont faire finalement de la chanson française, ou du médiéval, parce que c'est alimentaire et plus facile, car il y a plus de marché. Le but de cette formation, c'est que les gens professionnalisent ces musiques qu'on enseigne et qu'ils les diffusent au maximum, parce qu'il nous faut des professionnels pour les diffuser. Mais économiquement, apparemment, ce n'est pas évident.



Est-ce que beaucoup d'étudiants sont attirés par la recherche avec la musique électroacoustique ? 

On a travaillé avec Bertrand Dubedout, professeur au CRR, car on avait la chance d'avoir des étudiantes en commun,  des musiciennes basques, à la fois étudiantes en écriture et en électroacoustique et au département de musiques traditionnelles, qui ont fait le lien. Certains ont été intéressés, une étudiante a proposé dans un de nos spectacles la diffusion d'une partie de musique électroacoustique. C'est une sensibilisation, certains ont été touchés et j'espère que ça produira quelque chose.  Par ailleurs il y a des personnes qui ont un contact très facile dans un collectif, qui vont très vite brasser, organiser des choses, tandis que d'autres sont un peu plus repliés.



Tu as toujours des contacts avec la première promotion ? 

Bien sûr, on les invite souvent. Par exemple le musicien type qui en un rien de temps développe une activité incroyable, c'est Carlos Valverde : sitôt arrivé à Toulouse, il fonde un groupe, des ateliers, il a un « truc » communicatif, c'est un Brésilien ! Les portes s'ouvrent devant lui, il a été invité dans des festivals alors qu'il était là depuis quelques mois... Il est dans les musiques tout terrain, les transes pifanos, il a monté des groupes avec la danse, avec l'animation, en concert partout, il a enregistré... Quand je le cite, c'est comme exemple. Je suis lié au travail d'une autre Brésilienne, Rita Macedo, qui a suivi  notre formation. La force de travail et le sens du contact, cela compte beaucoup dans nos musiques.



Y-a-t-il d'autres expériences pédagogiques similaires en France ? 

Je pense que la différence qu'on a à Toulouse par rapport à d'autres lieux, c'est justement la transversalité, où plusieurs styles de musiques traditionnelles se côtoient : flamenco, arabo-andalou, occitan… Les conservatoires sont pour la majorité vraiment axés sur leurs musiques régionales, même en Bretagne. Dans la banlieue parisienne et à Paris, tel conservatoire est sur l'Afrique de l'Ouest, tel conservatoire sur le latino-américain, et je pense que nous sommes assez originaux à ce sujet. De même nous ne nous adressons qu'au  niveau de troisième cycle (préparation au DEM), alors que d’autres conservatoires assurent également la préparation initiale. Ici des structures ou associations le font déjà, comme le COMDT, Arpalhands à Colomiers, toutes les académies de flamenco... c'est plus rare pour la musique orientale et arabo-andalouse, mais il y a aussi des initiatives : Brahim Dhour, qui est un ancien étudiant, anime des ateliers à la MJC d'Empalot à Toulouse depuis des années.
Nous avons une association des enseignants de musiques traditionnelles (AEMDT), où on échange, et où des chercheurs qui étudient la transmission de la musique dans certains contextes viennent aux assemblées générales.  Entre ceux qui travaillent sur les musiques du monde et ceux qui travaillent sur les musiques régionales, les problématiques se croisent. Dans les conservatoires qui enseignent les musiques régionales, il y a une ouverture quand même, par exemple dans la Creuse où existe un atelier de musique arabo-andalouse... dans la Creuse... c'est intéressant ! En milieu urbain, il faut prendre en compte les musiques du monde, bien sûr, mais on ne peut pas toutes les enseigner, toutes les illustrer. Question de moyens.
J’ai adoré le travail d'un ami qui s'appelle Martial Pardo, qui dirige le Conservatoire de Villeurbane, un conservatoire très pointu sur les musiques du monde, les musiques actuelles, le jazz. Martial Pardo vient de Caen, où il avait monté une opération qui mettait en valeur les musiciens de la ville issus de l'immigration. Il découvrait tel musicien chinois que personne ne connaissait, tel Portugais qui jouait la musique de chez lui, il les mettait sur scène, et à la fin il a publié un livre-disque, Le tour du monde en vingt-cinq voisins. Il a des origines espagnoles et nord-africaines, il est très sensible aux musiques du Maghreb.
Depuis que je suis là, je suis en contact avec des musiciens maghrébins, je rêverais qu'il y ait un projet qui leur soit consacré un jour comme cela s'est fait à Lyon, où le centre des musiques traditionnelles avait fait un disque sur les musiciens maghrébins de la ville. 


Fête de la musique 2012 - photo COMDT

À Toulouse il y a un potentiel, une recherche à faire... Il y a des musiciens partout, dans toutes les cultures ! Ce sont des gens qui sont là à côté, et si tu vas faire un truc sur la musique vénézuélienne, tu ne vas pas faire venir quelqu'un du Venezuela, alors que tu as peut-être quelqu'un, là, qui joue cette musique. Après, tu peux faire venir tous les groupes de musiques du monde de la terre, ce que font d'ailleurs de nombreux festivals, mais il y a aussi des gens qui vivent là, et on ne le sait même pas ! En tout cas moi, ça m'intéresserait !


 

mardi 23 décembre 2014

Lucilla Galeazzi et Manu Théron, deux grandes et belles figures emblématiques du chant traditionnel, artistes et passeurs que nous avons reçus en 2014, nous accompagnent en cette fin d’année sous les plumes de Sylvie Allix et d’Alem Alquier. Nous vous proposons également deux chroniques d’ouvrages consacrés l’un à la chanteuse lotoise Alberte Forestier, « chanteuse ordinaire et extraordinaire » collectée et accompagnée par Xavier Vidal et le second au très doué « Steve Vai de la vielle à roue » Romain Baudoin.
Nous vous souhaitons de passer de très bonne fêtes, et vous donnons rendez-vous en 2015 !

Quelques notes sur le stage de Lucilla Galeazzi des 18 et 19 octobre 2014

par Sylvie Allix


Photo Droits réservés
 « Ma mère, comme ses propres parents, était ouvrière à Terni. Aujourd'hui c'est la crise et dans les aciéries de Terni ce sont cinq cent cinquante emplois qui s'arrêtent... Les ritualités se perdent, on ne chante plus à la sortie de l'usine. Moi ? Et bien je suis devenue une ouvrière de la voix ». Voilà comment Lucilla ouvre l'atelier ce samedi-là. Nous sommes vingt prêts pour l'aventure. Un paquet de photocopies circule... Nous allons chanter tout ça ? 
       « Quel répertoire choisir quand tous les dix kilomètres il y a des chants différents, des nourritures différentes, des paysages aussi différents que le sont montagne et plaine... ? On me dit « les chants des montagnes sont tristes »... mais toi, essaye de vivre en montagne avec six mois de neige.... ». Effectivement... nous sommes confortablement installés au COMDT, pas de neige à l'horizon... pas de troupeau non plus. « Il faut bien prendre conscience du fait que les gens ont fait leurs supports musicaux avec ce que la nature leur donnait : pas de zampogna sans brebis. Sans compter les trouvailles vocales pour imiter les animaux, le concert d'un troupeau qui se déplace... » 

Actualité de Manu Théron - deux mille quatorze

par Alem Alquier


        Nous avions convenu de nous retrouver cette après-midi ensoleillée du mois de mars au bar du Matin, place des Carmes à Toulouse. Manu Théron était de passage dans notre ville avec Chin Na Na Poun.



      

1 Primate - chronique CD


        Romain Baudoin, volontiers promu « Steve Vai de la vielle à roue » en commentaires de YouTube, nous offre un album assez expérimental, où un instrument hybride est largement mis à l’honneur. Le morceau qui introduit l’album s’intitule Paret, certainement pour évoquer ce mur du son qui lui a inspiré la fabrication du double instrument vielle à roue alto / guitare électrique et qui a pour nom torrom borrom (« chaos » en gascon : sa prononciation entraîne l’onomatopée qui évoque un éboulement). La musique improvisée se nourrit d’instants, d’écoute pure, et surtout d’exploitation de l’immédiateté. Par exemple que peut-on faire de plus improvisé que l’exploration de larsens ? L’album en est (un peu) pourvu, et ici on en revendique l’esthétique. Est-ce une même sérendipité (titre du deuxième morceau) qui a conduit Romain Baudoin à inventer cet instrument ? Il faut préciser que son luthier Philippe Mounier est coutumier des prototypes et n’hésitera pas à ajouter dans le cas qui nous intéresse, outre des cordes sympathiques, des clapets qui permettent de monter ou de descendre la note jouée d’un demi-ton ; à supprimer le « plumier » pour un accès direct aux cordes et les faire moduler à loisir…