lundi 24 septembre 2012

La bombarde et ses cousines - chronique DVD

La bombarde et ses cousines, tel est le nom d’un coffret de trois DVD édité par la Bodadeg Ar Sonerien (Quimper), une publication extrêmement copieuse avec au total six heures d’images, de musiques et d’entretiens. La bombarde, hautbois traditionnel emblématique de Bretagne – et donc de cette publication bretonne – occupe tout le premier DVD : on y trouve des entretiens portant sur son histoire, sur le jeu en couple avec le binioù koz, sur sa participation au bagad, mais aussi sur son utilisation actuelle hors des sentiers battus (notamment en duo avec l’orgue), « bombarde en liberté », « débridée ». Cependant, ce coffret est également consacré aux nombreuses « cousines », de France et des pays limitrophes tout d’abord (Occitanie, Pays basque, Catalogne, Italie), puis du Moyen-Orient (duduk, mey, balaban, hautbois à perce cylindrique d’Arménie, de Turquie et d’Azerbaïdjan, zurna de Turquie, mizmar d’Égypte), de Tunisie (raïta), du Niger (algaita), d’Asie du Sud, du Sud-Est et de l’Est (une multitude de hautbois d’Inde, de Thaïlande, Cambodge, Java, Chine).
Dans tous les cas, l’instrument est présenté par la fine fleur des chercheurs ou des musiciens, personnages hautement emblématiques et spécialistes de leur tradition instrumentale : pour la Bretagne, on citera Yves Defrance, Laurent Bigot, Jean-Christophe Maillard, Yves Tanguy, Bernard Pichard, Youenn Sicard ou encore Christian Faucheur ; pour les hautbois occitans, Bernard Desblancs ; Pierre Hayra et Asier Goiraskoetxea, deux musiciens basques des fameux Uztaritzeko Gaiteroak ; Vincent Vidalou pour les hautbois catalans ; Stefano Valla pour le piffero italien… Dans le troisième DVD, on découvrira également Heinz Stefan Herzka, grand collectionneur de hautbois du monde, à l’origine du projet de musée instrumental à Céret (Pyrénées Orientales), Marc Écochard (facteur et chercheur sur les hautbois anciens, notamment du Poitou), Patrick Kersalé (pour les hautbois d’Asie) et un certain nombre d’intervenants originaires de tous ces pays de hautbois, à l’instar par exemple de Recep Sirplioghu, facteur et joueur de zurna turque. Tous ces entretiens sont toujours placés en regard d’extraits musicaux où il est possible de voir et d’entendre ces hautbois en situation.
Le troisième DVD, enfin, est organisé de façon plus thématique et transversale : on y trouve les thèmes « Pratiques des hautbois » (origine, histoire, contextes rituels), « Techniques instrumentales », « Lutherie » (tournage, décoration), « Fabrication des anches », ces thèmes étant traités très visuellement avec des séquences filmées sur le tournage (tournage d’une zurna turque), le perçage des trous, la fabrication des clés, les incrustations d’étain, la pose des bagues en bois, ou encore sur la coupe du roseau et le façonnage manuel ou mécanisé de l’anche. Pour terminer, « Histoires d’anches de Bombarde » donne la parole à des facteurs ou des musiciens, peut-être pour ne pas que l’on oublie que ce hautbois breton est l’initiateur et le trait d’union de cette publication.
On regrettera toutefois quelques petites erreurs à caractère historique ou encore relatives au statut social et culturel de l’instrument en Europe et aussi à sa symbolique. La qualité scientifique de cette publication n’est pas totalement irréprochable et le livret, par exemple, cite des textes sans indiquer leur provenance (tout le texte « La naissance d’une collection » signé de Heinz Stefan Herzka aux pages 20 et 21 est extrait d’un long texte que nous avons écrit tous deux, intitulé « De la collection des hautbois à l’espace muséal du CIMP à Céret »). De même, dans un ou deux entretiens, on pourra regretter un ton agaçant, presque « folkeux » et désinvolte.
Mais cette publication a plusieurs vertus importantes. Faire voir et écouter, tout d’abord. Des instruments, des musiciens, des collecteurs, des récits et tranches de vie, une mémoire musicale, sociale et culturelle, une mémoire du folk revival aussi. Faire le point, ensuite, sur l’évolution d’un type organologique, dont les essences ont parfois varié au profit de bois exotiques, ou dont l’aspect diatonique s’est parfois vu modifier par le biais de clétages plus ou moins perfectionnés. Relativiser, enfin, les traditions instrumentales françaises et européennes (ici les hautbois) en les resituant dans un environnement multi-continental. Je ne suis pas sûr qu’il existe une « route des hautbois » mais tout le monde sait que l’espace de jeu des hautbois traditionnels est immensément large, recouvrant à des degrés divers au moins quatre des cinq continents. On n’a pas si souvent l’occasion, à travers les publications bibliographiques ou discographiques de musiques et danses traditionnelles françaises, de s’extraire des limites d’un terroir, d’un « pays », de sortir du cadre strict de la monographie. Ici, au gré des séquences, on est invités à voyager, à découvrir, à se cultiver, à comparer aussi. Il s’agit d’une entreprise à la fois humble et exigeante. C’est là sans doute l’intérêt majeur de cette publication, belle et très réussie, dont le propos n’est pas de traiter de façon exhaustive telle ou telle tradition de hautbois, mais de s’inscrire dans une globalité à travers une mise en miroir permanente, noble ambition qui justifie largement l’utilité de son édition. 

Luc Charles-Dominique


La bombarde et ses cousines
Bodadeg Ar Sonerien Penn Ar Bed, 2011

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