La bombarde et ses
cousines, tel est le nom d’un coffret de trois DVD édité par
la Bodadeg Ar Sonerien (Quimper),
une publication extrêmement copieuse avec au total six heures
d’images, de musiques et d’entretiens. La bombarde, hautbois
traditionnel emblématique de Bretagne – et donc de cette
publication bretonne – occupe tout le premier DVD : on y
trouve des entretiens portant sur son histoire, sur le jeu en couple
avec le binioù koz, sur sa participation au bagad,
mais aussi sur son utilisation actuelle hors des sentiers battus
(notamment en duo avec l’orgue), « bombarde en liberté »,
« débridée ». Cependant, ce coffret est également
consacré aux nombreuses « cousines », de France et des
pays limitrophes tout d’abord (Occitanie, Pays basque, Catalogne,
Italie), puis du Moyen-Orient (duduk, mey,
balaban, hautbois à perce cylindrique d’Arménie, de
Turquie et d’Azerbaïdjan, zurna de Turquie, mizmar
d’Égypte), de Tunisie (raïta), du Niger (algaita),
d’Asie du Sud, du Sud-Est et de l’Est (une multitude de hautbois
d’Inde, de Thaïlande, Cambodge, Java, Chine).
Dans tous les cas,
l’instrument est présenté par la fine fleur des chercheurs ou des
musiciens, personnages hautement emblématiques et spécialistes de
leur tradition instrumentale : pour la Bretagne, on citera Yves
Defrance, Laurent Bigot, Jean-Christophe Maillard, Yves Tanguy,
Bernard Pichard, Youenn Sicard ou encore Christian Faucheur ;
pour les hautbois occitans, Bernard Desblancs ; Pierre Hayra et
Asier Goiraskoetxea, deux musiciens basques des fameux Uztaritzeko
Gaiteroak ; Vincent Vidalou pour les hautbois catalans ;
Stefano Valla pour le piffero italien… Dans le troisième DVD, on découvrira également Heinz Stefan Herzka, grand
collectionneur de hautbois du monde, à l’origine du projet de
musée instrumental à Céret (Pyrénées Orientales), Marc Écochard
(facteur et chercheur sur les hautbois anciens, notamment du
Poitou), Patrick Kersalé (pour les hautbois d’Asie) et un
certain nombre d’intervenants originaires de tous ces pays de
hautbois, à l’instar par exemple de Recep Sirplioghu, facteur et
joueur de zurna turque. Tous ces entretiens sont toujours
placés en regard d’extraits musicaux où il est possible de voir
et d’entendre ces hautbois en situation.
Le troisième DVD, enfin,
est organisé de façon plus thématique et transversale : on y
trouve les thèmes « Pratiques des hautbois » (origine,
histoire, contextes rituels), « Techniques instrumentales »,
« Lutherie » (tournage, décoration), « Fabrication
des anches », ces thèmes étant traités très visuellement
avec des séquences filmées sur le tournage (tournage d’une zurna
turque), le perçage des trous, la fabrication des clés, les
incrustations d’étain, la pose des bagues en bois, ou encore sur
la coupe du roseau et le façonnage manuel ou mécanisé de l’anche.
Pour terminer, « Histoires d’anches de Bombarde » donne
la parole à des facteurs ou des musiciens, peut-être pour ne pas
que l’on oublie que ce hautbois breton est l’initiateur et le
trait d’union de cette publication.
On
regrettera toutefois quelques petites erreurs à caractère
historique ou encore relatives au statut social et culturel de
l’instrument en Europe et aussi à sa symbolique. La qualité
scientifique de cette publication n’est pas totalement
irréprochable et le livret, par exemple, cite des textes sans
indiquer leur provenance (tout le texte « La naissance d’une
collection » signé de Heinz Stefan Herzka aux pages 20 et 21
est extrait d’un long texte que nous avons écrit tous deux,
intitulé « De la collection des hautbois à l’espace muséal
du CIMP à Céret »). De même, dans un ou deux entretiens, on
pourra regretter un ton agaçant, presque « folkeux »
et désinvolte.
Mais cette publication a
plusieurs vertus importantes. Faire voir et écouter, tout d’abord.
Des instruments, des musiciens, des collecteurs, des récits et
tranches de vie, une mémoire musicale, sociale et culturelle, une
mémoire du folk revival aussi. Faire le point, ensuite, sur
l’évolution d’un type organologique, dont les essences ont
parfois varié au profit de bois exotiques, ou dont l’aspect
diatonique s’est parfois vu modifier par le biais de clétages plus
ou moins perfectionnés. Relativiser, enfin, les traditions
instrumentales françaises et européennes (ici les hautbois) en les
resituant dans un environnement multi-continental. Je ne suis pas sûr
qu’il existe une « route des hautbois » mais tout le
monde sait que l’espace de jeu des hautbois traditionnels est
immensément large, recouvrant à des degrés divers au moins quatre
des cinq continents. On n’a pas si souvent l’occasion, à travers
les publications bibliographiques ou discographiques de musiques et
danses traditionnelles françaises, de s’extraire des limites d’un
terroir, d’un « pays », de sortir du cadre strict de la
monographie. Ici, au gré des séquences, on est invités à voyager,
à découvrir, à se cultiver, à comparer aussi. Il s’agit d’une
entreprise à la fois humble et exigeante. C’est là sans doute
l’intérêt majeur de cette publication, belle et très réussie,
dont le propos n’est pas de traiter de façon exhaustive telle ou
telle tradition de hautbois, mais de s’inscrire dans une globalité
à travers une mise en miroir permanente, noble ambition qui justifie
largement l’utilité de son édition.
Luc Charles-Dominique
La bombarde et ses cousines
Bodadeg Ar Sonerien Penn Ar Bed, 2011
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