lundi 24 septembre 2012

Jaufré Rudel Troubadour de Blaye, Ensemble Tre Fontane - chronique CD

Le vielleux Pascal Lefeuvre et ses compères de Tre Fontane - Maurice Moncozet à la voix, au rebec, au saz et au ney, et Thomas Bienabe au luth - n’ont pas décidé de nous offrir un « best of » Jaufré Rudel, le troubadour blayais à la destinée romanesque, tombé amoureux de la comtesse de Tripoli sans l’avoir jamais vue, et qui serait mort dans ses bras après un long périple lui ayant permis de ne l’entrevoir que quelques secondes… La princesse lointaine n’est évoquée que dans le texte de présentation, puis l’auditeur est invité à une rencontre, située à mi-chemin entre l’Aquitaine et le Proche-Orient, en compagnie de Rudel et de quelques-uns de ses homologues, en les personnes de Marcabru, Guillaume IX d’Aquitaine, et Peyrol.
Nos troubadours ignorent les contraintes du temps : bien que venus des XIe et XIIe siècles, ils ont invité Daoud Housni (1870 – 1934), compositeur égyptien de confession hébraïque, Cheikh Ali Adarwich (que j’avoue ne pas connaître), Bahjat Hassan, compositeur syrien actuel versé notamment dans le répertoire soufi, et le fameux « Anonyme » que l’on trouve si souvent dans les programmations, et qui s’adapte si bien aux styles et aux époques ! On imaginera de prime abord que le disque joue d’un bout à l’autre sur le mode de l’arabisme, mais ce n’est pas si simple. Si à une époque, on a usé et abusé des mariages mixtes entre cultures, nos musiciens se sont considérablement assagis, même s’ils possèdent bien les arcanes de la musique orientale. Les auteurs « invités » proposent chacun ici des pièces issues du répertoire arabo-andalou, qui a souvent fait les délices des groupes médiévaux tels La Maurache, ou tout simplement, déjà, Tre Fontane. Ainsi ces musiques vont-elles servir d’écrin pour précéder ou poursuivre l’interprétation délicate de la lyrique d’Oc. Maurice Moncozet n’est pas un novice en la matière, on le sait depuis Le Concert dans l’Œuf, et ses nombreuses collaborations avec Gérard Zuchetto ou Eduardo Paniagua par exemple. À la voix de Maurice, rompue à ce parlando expressif dont il s’est fait avec quelques autres une spécialité, s’associent les trois instruments à cordes que l’on connaît dans le groupe aquitain. Belles interventions du luth, dont on écoute avec plaisir et une pointe d’amusement les métamorphoses brusques des mondes oriental à occidental – par exemple dans l’enchaînement de Quan lo rossinhols avec Nassimou Gharnata ya liloun, couleurs expressives du rebec lorsque le chanteur a le loisir de se concentrer sur son jeu instrumental, libéré de sa voix. Mais bien sûr, la couleur la plus prégnante de Tre Fontane, peut-être : la vielle de Pascal, qui paraît avoir trouvé dans ces modes d’expression venant d’un médiévisme réinventé et d’un Orient amoureusement enlacé par les courbes de la mélodie l’essence d’un jeu dominé par l’onirisme et la sensualité. Lefeuvre a presque définitivement écarté les sonorités d’une vielle dominée par le jeu de poignet (sauf dans Bels m’es l’estius e’l temps floritz), peut-être pour retrouver les sons de la chifonie médiévale mais sûrement aussi pour nous gratifier de ces volutes sonores qui contribuent tant à la couleur générale de l’ensemble. Même si l’on n’entend rien de bien vraiment nouveau, nous voilà gratifiés d’un répertoire magnifique et d’un très beau moment de musique et de poésie.

Jean-Christophe Maillard



Jaufré Rudel Troubadour de Blaye

Ensemble Tre Fontane
Alba Musica / CARMA Productions, 2012

Pour en savoir plus :

http://www.albacarma.com