lundi 24 septembre 2012

Jean Perrier "Quand tu joues", Musique d'Aubrac - chronique CD

L’accordéoniste Jean Perrier enregistrait en 2006 un album consacré au répertoire de ses premiers bals, au début des années cinquante, entouré de Jean Bona à la cabrette et Bruno Bonte au banjo. Cet album n’a jamais pu arriver à sa fin : le musicien est décédé prématurément, laissant le projet inachevé. Jacques Lanfranchi, responsable de la prise de son lors de ces enregistrements ultimes, y a joint et mixé ici sept autres morceaux extraits d’enregistrements plus anciens (1998 et 2004) de manière à compléter ce panorama d’un répertoire que Perrier possédait et interprétait toujours à merveille, à l’aube de ses soixante-dix ans.
Perrier a passé sa vie, hormis une parenthèse algérienne dont il se serait sans doute passé en 1958, entre l’Aubrac et Paris, appartenant ainsi à l’une des dernières générations associées à l’image des bougnats. Charbonnier à Paris en hiver, ce travail saisonnier lui permet de retourner au pays en été, et d’animer bon nombre de bals. Plus tard, un emploi de garçon de café le conduit à une ascension sociale qui le mènera à la tête d’une importante société de distribution de boisson. On est loin des aventures des Péguri, Sudre, Cayla et autre Bouscatel : Perrier appartient à une autre époque. Il n’empêche que son style de jeu et son répertoire s’inscrivent dans une parfaite tradition, qui paraît avoir évité les écueils d’un folklore niais de carte postale, auquel certains de ses contemporains ont succombé… Ici, c’est de la musique de bal, que le musicien exécute accompagné de vieux compères : un enregistrement presque fait pour le plaisir, peut-on penser. Valses, bourrées, polkas, mazurkas, une scottish, et même un one-step (succès de café-concert, Embrass’moi Joséphine) composent le répertoire de cet album qui reste d’une grande unité même si Didier Pauvert, grand admirateur du maître, s’est invité à ses côtés dans deux enregistrements de 1998. Le jeu de Jean Perrier est une parfaite osmose entre le style musette parisien de l’entre-deux-guerres et celui des accordéonistes auvergnats pratiquant le jeu dit « de l’Aubrac ». C’est un jeu brillant, joyeux et bien sûr extrêmement dansant, qui évite instinctivement les erreurs de goût que l’on peut entendre, notamment, avec certains « folkloristes », ceux auxquels on a déjà fait allusion un peu plus haut… Brillance et professionnalisme peuvent aussi se décliner tout en restant dans les (vastes) limites d’une tradition bien sentie et régénérée. Tiennet Simonin offre dans la notice une belle étude stylistique, certes un peu austère pour le béotien, mais passionnante même pour le néophyte, qui dévoile de manière éloquente ce que l’oreille avait commencé à percevoir. Cette belle réalisation rend justice à un très bon musicien, pas totalement formaté, comme il en existe un certain nombre encore, en France et peu partout dans notre monde occidental : cette production de l’AEPEM (Association d'étude, de promotion et d'enseignement des musiques traditionnelles des pays de France), comme quelques autres, donne un exemple que l’on aimerait voir suivi plus largement. Puisse-t-elle en susciter d’autres et ressusciter d’autres talents !

Jean-Christophe Maillard


Jean Perrier "Quand tu joues" / Musique d’Aubrac 
AEPEM, 2012

Pour en savoir plus :
http://www.aepem.com