Ensuite, il y a un texte qui invite l’auditeur à laisser ses préjugés et habitudes au vestiaire, l’invitant à rejoindre les sentes buissonnières sinueuses loin des axes goudronnés… remettre en jeu des inspirations multiples, tout en se soumettant aux expériences « troupliniennes » : faire bruisser le hautbois, crisser les anches, malmener-remanier le steel drum, échantillonner et boucler, apparier bruits, sons, musiques et écriture. Bref, de quoi avoir peur quand même, non pas pour les dangers du cyclisme, mais pour le bien-être de ses oreilles… Effectivement, on commence fort : avec cet hommage aux baleines à bosses de Hash de zoo, on a un mélange électro-acoustique digne des grandes années de la musique concrète, avec le véritable chant de ces sympathiques cétacés, le souffle dans un buffoir de cornemuse, et mille autres sons, parfois assez stridents… C’est intéressant, aucun doute, mais le disque va-t-il sonner ainsi jusqu’à la dernière plage, nous laissant échoués lamentablement, épuisés auditivement, sur un banc de sable ? On enchaîne alors sur un ostinato de trois cornemuses, cette fois-ci totalement reconnaissables, qui se poursuit par un joli petit solo aux couleurs d’abord « montbeliennes » puis soutenu par une basse funk et une batterie idoine. Les sinuosités du sentier ont débuté. Ce sera ensuite une fable-conte où le narrateur perd aux échecs la main d’une princesse turque, face à Kasparov lui-même, puis un nouveau solo de cornemuse aux mélodies remplies d’aspérités, s’enchaînant à un réel irréel, agrémenté de sonorités guillerettes mais elles aussi totalement folles. On n’a plus mal aux oreilles, on se met à rire sans faire exprès ! Le voyage continue : la cornemuse, omniprésente, exploite toutes les ressources de la musette du Centre, sans pourtant se référer un seul instant, dirait-on, à son répertoire habituel. Boris joue des mélopées nostalgiques à la Titanic, d’étranges boucles s’amusant à singer le pibroch, part en guerre contre l’exclusion de l’autre, la xénophobie et l’intolérance dans un texte vibrant, éructe entre son bourdon et son séquenceur, s’attendrit sur sa petite fille adoptée, nous invite à un joli duo pour cornemuse et steel drum, évoque les balbutiements de l’humanité et l’avènement de l’homo sapiens ! Joli sentier sinueux ! Ç’aurait pu être totalement décousu et ennuyeux, mais non : le train s’arrête, un petit tortillard bien sûr, pas un TGV (et là, ce n’est plus Trouplin qui fait l’image, mais l’auditeur). Les passagers sortent dans un demi-rêve, toujours sous le charme, pas encore éveillés, malgré la dernière note qui a sonné presque comme un sifflet de locomotive : nos pistes ont été recyclées l’espace de 52 minutes et 14 secondes…
Jean-Christophe Maillard
Pistes recyclables
Boris Trouplin
Autoproduction, 2012
Pour en savoir plus :
http://www.myspace.com/boristrouplin