lundi 21 mai 2012

Guillaume Lopez, nomade enraciné

propos recueillis par Dominique Regef


Guillaume Lopez - Celui qui marche
Guillaume Lopez apparaît aujourd'hui sur la scène occitane comme un repère incontournable par la diversité et l'originalité de ses initiatives musicales. Comme tant d'autres ici, il vit l'Occitanie comme une terre de mémoires croisées, de racines enfouies, qui n'ont de sens que dans la force du témoignage et dans l'offrande à tous les vents.


Quelle a été ta porte d'entrée dans la musique ?
À partir de l'âge de huit ans et pendant une douzaine d'années, j'ai étudié la musique classique à l'Ecole de Musique de Tournefeuille, en solfège et saxophone. J'ai appris la respiration, la technique, la lecture, quelques notions d'harmonie. Après j'ai découvert les musiques traditionnelles, un peu par hasard : j'ai la chance d'avoir dans ma famille Xavier Vidal, musicien, collecteur et formateur, qui est mon oncle. Depuis que je suis petit, à chaque repas de famille, on sort des instruments et on joue. Un jour, Xavier a joué du fifre : le coup de cœur ! J'avais treize ou quatorze ans. Il m'a alors offert mon premier instrument. Le déclencheur le plus déterminant a été, lors de mon passage en première littéraire au lycée, quand on m'a donné le choix, en matière optionnelle, entre mathématiques et occitan. C'est sur le conseil de ma professeur de mathématiques que j'ai opté pour l'occitan, une langue que je ne connaissais pas du tout, et que j'ai découverte assez facilement du fait que j'avais l'espagnol dans l'oreille puisque mes quatre grand-parents le parlent. Ma professeur d'occitan, Anne-Marie Parpet, donnait des cours englobant la langue, la littérature, la musique, la culture régionale... des choses que je n'avais jamais imaginées auparavant. J'ai eu une excellente note au bac, et j'ai continué à la fac en espagnol-occitan, où j'ai rencontré des gens qui parlaient occitan couramment depuis la tendre enfance. Dès la première année, nous avons monté un groupe de bal qui s'appelait Los d'enloc, c'est-à-dire "ceux de nulle part".

Pourquoi cette idée de nom ?
Il y avait déjà beaucoup de groupes qui se repéraient géographiquement dans le territoire occitan. Avec "ceux de nulle part," on était partout chez nous ! Nous étions cinq amis qui parlions occitan ou qui connaissions les musiques occitanes, et nous avons très vite donné des concerts. C'était pour moi la première fois que je faisais une musique qui me semblait utile, en fait. J'adorais la musique classique, mais on est assis derrière son pupitre, on joue pour des gens assis... Là, je découvrais une musique que l'on joue pour que les gens s'amusent et fassent la fête, c'est ce qui m'a séduit.

C'est une musique qui se vit et appelle la rencontre...
C'est ce qui m'a poussé à continuer dans cette voie. J'ai arrêté la fac d'espagnol-occitan à la fin de cette première année, et je suis parti en musicologie, parce que j'avais décidé d'être musicien. J'ai donc passé le concours d'entrée pour faire le Deug A, et je me suis rendu compte que je m'étais trompé, que c'était une usine à professeurs de solfège, à professeurs de musique. Ce n'était pas du tout ce que je voulais faire ! Après quelques mois, j'ai arrêté la fac et je suis parti à Cahors, où j'ai été embauché par l'AMTP Quercy (Association pour les musiques de tradition populaire en Quercy), qui était présidée à l'époque par Xavier Vidal. Pendant un an, j'ai fait de l'action culturelle autour des musiques traditionnelles avec lui. Nous faisions tourner les groupes de l'AMTP Quercy en essayant de trouver des rapprochements entre les spécificités des lieux et de la musique, entre les fêtes calendaires et les groupes, etc... C'est à cette époque que je me suis rapproché de Cyrille Brotto, collègue de Xavier Vidal et professeur d'accordéon diatonique dans les écoles de musique du Lot, et que nous avons monté le duo Brotto-Lopez. Puis j'ai souhaité regagner Toulouse où j'ai été embauché en 2003 par Christian Grenet, directeur alors de la Mounède, salle dédiée aux musiques du monde. Pendant un an et demi, j'ai été chargé d'action culturelle dans le quartier du Mirail, tout en m'occupant de la programmation de la salle avec le directeur. J'ai découvert le montage des dossiers de subventions, la régie, l'accueil des artistes, etc. À cette époque-là, la Mounède était un lieu assez prestigieux, et il y avait les budgets pour accueillir des groupes réputés. Christian Grenet étant également directeur de l'Estivada de Rodez, festival de musiques occitanes, j'ai également participé à sa programmation.

Un peu frustrant quand on se sent l'âme d'un musicien, non ?
Justement, je me suis dit : "Lance-toi dans la musique pour de vrai !" J'ai donc quitté la Mounède avec cette envie. À l'époque, j'étais un militant de la langue occitane et de ces musiques-là, avec déjà en vue une ouverture vers les musiques du monde, et surtout les musiques autour de la Méditerranée. J'ai travaillé aussi avec Alem Surre-Garcia, écrivain occitan, qui m'a ouvert les yeux sur les rapprochements historico-culturels entre l'Espagne, le Maghreb et les pays d'oc. Ce territoire m'intéresse de par mes origines, de par mes goûts musicaux. Je me suis ainsi rendu compte que dans mon cœur et dans ma vie, le français, l'occitan, l'espagnol, et aussi le catalan puisque j'ai un grand-père catalan, avaient la même importance. J'ai beaucoup travaillé sur les musiques occitanes, et je continue. Je me mets de plus en plus à la musique espagnole, et avec Thierry Roques, accordéoniste du groupe Sòmi de Granadas que nous avons fondé, nous faisons des emprunts à la musique du Maghreb. J'ai travaillé aussi avec le groupe Mosaïca, dans cette logique de mélange entre Occitanie et Maghreb. Après j'ai continué à monter mes projets, mes groupes, et je constate que je suis entouré de gens qui me confortent dans cette unité espagnolo-occitane. Je travaille beaucoup avec le chanteur Eric Fraj depuis dix ans, et il m'apporte dans ce territoire-là le côté littéraire et culturel, puisqu'il a la même histoire que moi. C'est le cas aussi de Claude Marti, également chanteur. Je me suis entouré de ces gens de l'émigration espagnole qui travaillent aussi sur les musiques occitanes. C'est l'Histoire qui a provoqué tellement de rencontres, de mélanges, de métissages.

Tu quittes donc la Mounède et tu deviens musicien professionnel. Le duo Brotto-Lopez était déjà bien lancé ?
En 2001, Anne-Marie Parpet, qui me suivait un petit peu, m'a dit qu'elle organisait un grand regroupement d'étudiants en occitan de Midi-Pyrénées, avec un concert à faire à la salle Nougaro pour les jeunes : "Monte-moi un groupe un peu pêchu !". C'est ainsi qu'est né Mesclamis, un mélange de trad-rock, dans lequel jouait également Cyrille Brotto. Le groupe a tourné un peu, mais comme c'était compliqué, nous avons continué à deux. Nous avons fait notre premier concert en mai 2002. Dès le départ nous avons fait un mélange entre répertoire traditionnel et composition, et depuis nous avons beaucoup tourné en France, dans les pays d'oc bien sûr, et aussi à l'étranger. Nous allons régulièrement en Belgique, et avons quelques contacts en Espagne et en Italie. Nous avons développé ce côté festif que recherchent les gens qui viennent danser, en désacralisant la musique de bal, parfois jouée de façon très sérieuse. Nous sommes spécialistes de la danse et du répertoire du Quercy et de la Gascogne, mais Cyrille étant un musicien qui a fait beaucoup de jazz, il est inattaquable rythmiquement sur la danse, ce qui me laisse beaucoup de liberté dans l'expression.

Tu vis la tradition comme un mode évolutif...
Ah complètement ! Certains râlent, prétendant qu'on se moque du répertoire, ce que je ne vois pas ainsi. Au milieu d'une scottish on va "dégoupiller" et mettre la macarena, par exemple ; au milieu d'une ronde du Quercy - j'aime faire chanter les gens, car le chant à répondre doit se perpétuer - on va chanter de la variété française :"Ne la laisse pas tomber, elle est si fragile"... Nous sommes vraiment dans un esprit de fête, le bal doit être joyeux et actuel, un lieu d'échanges, passe-temps et passe-frontières.

Tu écris de la musique ?
Oui, pas au sens de l'écriture directe sur des portées mais à partir du travail de mes instruments, et lorsque des suites de notes me plaisent, j'en fais un morceau. Je pense que nous sommes beaucoup à travailler comme cela.

Ta formation classique te sert-elle, et dans quelle mesure cette rencontre du classique et du traditionnel te nourrit-elle ?
Personnellement, je trouve que tous les outils sont un bonus. Même si on fait de la musique de tradition orale, le fait d'avoir appris à jouer au métronome, de savoir déchiffrer une partition quand on est en répétition, c'est utile. Mais lorsque j'anime des stages de chant, je ne donne pas de partitions, cela se passe par imitation. En tant que musicien, c'est précieux d'avoir eu un apprentissage très classique, carré, sérieux ; il y a dans le classique cette dimension de labeur qui me sert encore aujourd'hui.

Tu ne vois donc pas de contradiction entre l'approche savante et l'approche populaire ?
Pour moi non, ce sont des outils qui servent. Je préfère dire modestement que je suis musicien, plutôt que musicien traditionnel. Avoir plusieurs outils, c'est comme avoir plusieurs langues. Je choisis celui qui me convient selon les contextes.

Qu'y-a-t-il dans le prochain CD Brotto-Lopez ?
Guillaume Lopez et Cyrille Brotto
Ce disque me fait très plaisir, car le dernier est sorti en 2006 et, à la réécoute, nous semble très "vieux" par rapport à ce que nous faisons maintenant. À notre dernier bal, on nous a dit : "C'est un show !", ce qui nous plaît ! On y trouve tout notre répertoire de bal actuel, avec deux inédits, et une dizaine d'invités. Sur les créations, nous avons trouvé un système qui fonctionne très bien : Cyrille écrit les musiques, et moi les paroles.

Quel genre de textes ?
Ce que j'aime dans l'écriture de la langue d'oc, c'est son caractère très sonore. Pour le bal, je me régale à chercher des sonorités qui vont bien avec la musique, les accents toniques qui vont sur les temps forts, etc. C'est écrit pour la danse, sur des thématiques liées à la fête, pas pour un tour de chant.

Avec Thierry Roques dans Sòmi de Granadas, en quoi l'approche est-elle différente ?
Il n'y a pas vraiment de répertoire traditionnel. Il y a des sonorités : Thierry connaît très bien certaines musiques du Maghreb, puisqu'il a accompagné Djamel Allam, Takfarinas... Il possède le groove, les rythmiques, autant de styles et de couleurs à explorer. Au début, les reprises étaient de mon point de vue des balbutiements ; c'était la première fois que je chantais en espagnol, ce qui était important pour moi, car nous avons repris des chansons de l'époque de la guerre d'Espagne qui m'ont été transmises par mes grand-pères. Depuis peu j'en ai fait un autre spectacle, Las simples cosas. Sòmi de Granadas c'est vraiment une rencontre : moi avec ma connaissance des musiques occitanes, mon envie de chanter en espagnol, et Thierry Roques avec sa maîtrise des rythmiques méditerranéennes. Depuis que Pierre Dayraud nous a rejoints à la batterie, l'improvisation a pris une grande place. Notre slogan est désormais : "Entre jazz ethnique et musiques des mondes".

Ce qui semble plus ouvert et moins formaté que "musiques du monde", plus aventureux...
Il y a des morceaux très calés, et il y a une part de folie. J'aime bien travailler avec des musiciens de différentes générations, car on a tous des choses à s'apporter. À cinquante ans, des "monstres" comme Thierry et Pierre m'ouvrent à des richesses fabuleuses. Quand ils partent tous les deux dans des "tournes", on ne sait pas où ça va, mais on essaye de suivre... c'est jouissif !

Un vrai chemin initiatique !
Celui qui marche
Exactement, cela m'a demandé une évolution, pas à pas. Mes premiers solos devaient être très timides, mais quand on a de tels collègues, ils t'incitent à aller plus loin. Au départ je me trouvais médiocre, j'avais l'impression de jouer toujours de la même façon, alors que quand ils font un solo, ils sont inventifs tout en sachant où ils vont. Mais au fur et à mesure les choses se mettent en place assez naturellement. Alors on réalise qu'un instrument ne sert pas uniquement à faire des notes, mais aussi des sons, des bruits ; c'est pareil pour la voix, avec les riffs, les onomatopées... Avec le quartet Occitan Jazz Bazar, de Gérard Pansanel, qui est guitariste de jazz à Montpellier, avec Joël Allouche à la batterie, Lionel Suarez ou Jean-Michel Feix à l'accordéon, c'est le même processus. Gérard propose des thèmes, je les apprends, ce qui est un boulot énorme car les structures mélodiques me semblent complètement étrangères, et une fois sur scène, on "envoie", c'est l'aventure, c'est excitant ! On me dit souvent que j'ai trop de groupes, trop de projets... Mais tous me plaisent, et aussi me frustrent, car je ne peux pas tout exploiter dans chaque projet.

Tu te considères comme un musicien nomade ?
Oui, mais avec toujours quelque chose qui me relie à ce que j'aime et à ce que je sais faire. Si un jour on m'appelle pour faire un groupe de musique bretonne ou irlandaise, je n'irai pas, il faut quand même que ce soit dans un univers géographique et culturel que je connais. Comme je fais très attention de ne chanter que dans les langues que je sais parler.

Tu as besoin de maîtriser autant que de lâcher prise. En est-il de même pour la production ?
Absolument. En 2008 j'ai créé une association, le Camom - Collectif artistique et musical Occitanie Méditerranée - pour produire et diffuser mes spectacles, qui est devenue en 2012 une petite agence artistique, avec des groupes qui entrent dans sa thématique. Nous en comptons aujourd'hui une vingtaine sur le catalogue, avec deux salariés qui travaillent sur la diffusion et la communication. Pour certains nous ne gérons que l'administratif, pour d'autres nous essayons de les faire tourner.

Vous intervenez dans les régions occitanes, bien sûr, mais avez-vous des contacts au-delà ?
Le but est justement d'aller beaucoup plus loin. J'ai mon réseau personnel depuis quelques années dans le grand sud, mais les deux personnes que nous avons embauchées sont là pour développer le plus largement possible notre réseau.

Logiquement le Camom fait aussi la production des CD ?
Oui, c'est le cas du CD Brotto-Lopez, soutenu par la Région Midi-Pyrénées, qui sort chez L'Autre Distribution le 18 juin 2012. Le 21 juin, jour de la Fête de la Musique, à partir de 20h, lors de la soirée organisée par le Centre occitan des musiques et danses traditionnelles au Jardin Raymond VI à Toulouse, nous fêterons sa sortie. Ce CD a été enregistré à la maison avec du matériel de location par un ingénieur du son qui assure la régie des spectacles du collectif.

Quel est ton rôle au Camom?
Je suis directeur artistique.

Il n'y a pas d'agence artistique sans projets. Quels sont-ils ?
Il y a plusieurs secteurs dans l'agence : concerts, bals, théâtre et musiques de rue.

Pour les concerts, en ce qui me concerne, outre Sòmi de Granadas en trio, il y a Celui qui marche, un spectacle créé en 2011, où j'avais envie de chanter des textes d'aujourd'hui pour sortir un peu du répertoire traditionnel. J'ai demandé à des auteurs autour de moi, comme Eric Fraj, Claude Marti, Jacme Gaudas, Bernard Cauhapé, Roland Pécout entre autres, d'écrire des textes de chansons sur des thématiques que je leur ai proposées. Nous avons fait également des adaptations en oc de chanteurs qui me séduisent énormément, comme Allain Leprest. Je chante dans les quatre langues que je parle, dans une ambiance musicale tango-jazz, avec Thierry Roques à l'accordéon et au piano, Pierre Dayraud à la batterie, Pascal Celma à la basse et la contrebasse, et Camille Raibaud à la guitare et au violon, qui apporte des couleurs traditionnelles. C'est intéressant d'avoir des thématiques à défendre avec des textes qui ont été "faits pour moi"! Ce sont des récits : qu'est-ce aujourd'hui qu'un petit-fils d'immigrés espagnols, la diversité culturelle, ces Pyrénées qui sont un lieu d'échange plutôt qu'une frontière ; et puis des chansons d'amour... un tour de chant, quoi ! Un album sortira en janvier 2013.

Guillaume Lopez et Morgan Astruc - Las simples cosas
Il y a aussi Las simples cosas, créé l'an dernier avec Morgan Astruc à la guitare et Pascal Celma à la contrebasse. J'avais envie de chanter sur scène toutes les chansons de mon grand-père Lopez qui est décédé en novembre 2011 et qui était un merveilleux chanteur. Il chantait ce qu'il appelait "flamenco", plutôt des variétés des années 40, du répertoire d'Antonio Molina, Juanito Valderrama, tous ces chanteurs qui ont chanté la guerre d'Espagne, l'exil, la difficulté de quitter son pays. Quand mon grand-père chantait ces chansons, il pleurait. Il m'en a appris une dizaine. Je l'avais d'ailleurs enregistré, ce qui me permet de faire entendre sa voix sur bande, comme je fais entendre mon autre grand-père, dont je lis des extraits des mémoires, où il raconte la Retirada qu'il a vécue en 1939, et qui vient de fêter ses quatre-vingt dix ans. Pour élargir le répertoire, nous avons repris, avec Morgan qui est fanatique des musiques d'Amérique du Sud, des chansons d'amour d'Argentine et du Mexique. C'est un spectacle auquel je tiens beaucoup.

J'ai également des spectacles avec Eric Fraj, d'autres groupes de concerts, des groupes de bal, du théâtre, de la musique de rue, que l'on peut trouver sur le site suivant : http://lecamom.com/

Je recherche aussi des groupes qui seraient plus orientés vers le flamenco et la musique arabo-andalouse, pour que notre catalogue soit plus en cohésion avec ce que je raconte !

Pourtant le flamenco fructifie à Toulouse, peut-être plus que la musique arabo-andalouse...
Justement, dans la classe de musiques traditionnelles récemment créée au Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse, il y a d'excellents musiciens en musique arabo-andalouse. En flamenco, à Toulouse, il n'en manque pas ; pour en citer quelques-uns : Kiko Ruiz, la famille Pradal ou Serge Lopez... c'est superbe de pouvoir entendre autant de musiques ici.

Celui qui marche
Parmi tous les instruments à vent que tu joues, y en a-t-il un que tu préfères ?
Je n'arrive pas trop à savoir, car par rapport à mon histoire, s'il y en avait un, ce serait peut-être le saxophone, mais je le sors très peu, parce que j'ai des réflexes dont je n'arrive pas à me débarrasser au niveau du son, au niveau de la musique classique, donc très peu de gens acceptent que j'en joue. Le fifre est un instrument qui compte pour moi, parce que je le présente dans le cadre du Diplôme d'Etudes Musicales au CRR, mais en même temps je suis conscient de ses limites. La flûte traversière me permet beaucoup plus de choses, et c'est le seul instrument avec lequel je suis fier de mon son. Quant aux cornemuses, la boha (cornemuse gasconne) me plaît beaucoup, mais c'est un instrument qui peut jouer seulement dans certains contextes, le bal ou de temps en temps en concert ; c'est un instrument diatonique lié à un certain répertoire, une certaine façon de jouer. Finalement je suis de plus en plus chanteur sur mes projets.

Es-tu attiré par les instruments à anches comme le graile (hautbois du Languedoc) ?
Oui, j'en joue aussi. Je joue de l'aboès (hautbois du Couserans) en , et j'ai aussi un hautbois de Vailhourles en sol. L'an dernier, j'ai été invité sur la scène et sur le dernier album des Ogres de Barback. Ils m'avaient appelé justement pour ces couleurs-là, pour jouer de la cornemuse et du hautbois, et pour chanter aussi. Je vois que des gens sont attirés par ces instruments-là, qui ont une sonorité vraiment particulière, même s'ils ne viennent pas du même milieu que nous.

Cela te met dans une attitude de création, car il faut que tu t'adaptes à eux aussi ?
Oui, c'est un métier qui pousse à se remettre en question en permanence.

Ces rencontres sont humainement passionnantes, car ces musiciens ont une écoute "naïve" de l'instrument, l'émerveillement est toujours là...
Ils n'ont aucun préjugé, et je me retrouve dans la situation où j'étais quand j'ai découvert l'instrument.

Tu prépares le Diplôme d'Etudes Musicales en musiques traditionnelles au CRR de Toulouse. Qu'est-ce que cela représente pour toi ?
Guillaume Lopez en companhia
J'ai passé le concours pour plusieurs raisons. Déjà parce que cela me permet de continuer à apprendre, et parce que je suis très curieux ! L'ouverture de ce département au Conservatoire de Toulouse est une chance extraordinaire, non seulement pour la reconnaissance des musiques traditionnelles, mais aussi par la qualité de la formation insufflée par Xavier Vidal, qui en est le professeur-coordonnateur. Ensuite, cela m'a permis de rencontrer beaucoup de gens puisque nous sommes vingt-six dans notre promotion, qui est la première ici, entre musique occitane, flamenco et musique arabo-andalouse. L'aire géographique m'intéresse, et cela permet de voir de nouvelles têtes, d'échanger, de discuter des similitudes entre ces cultures-là, des différences, des contextes de jeu, des répertoires. Pour la formation, à côté de Xavier Vidal, Vicente Pradal assure le flamenco et organise un forum une fois par mois sur ce sujet, qui m'intéresse depuis longtemps. Cela va me permettre aussi un travail personnel, puisqu'un mémoire doit être rendu. J'ai choisi comme thématique quelque chose comme "Itinéraire d'un joueur de fifre", un mémoire autour de Christian Vieussens, un musicien qui compte énormément pour moi, de par sa propre histoire : musicien classique à la base, soliste en orchestre classique, puis collecteur autour du fifre et des musiques traditionnelles, enfin musicien de jazz avec Bernard Lubat entre autres. C'est un musicien auquel je me réfère beaucoup, qui compose, qui arrange, et qui me transmet constamment puisque nous habitons à proximité. Ce travail sur un mémoire me permet aussi de creuser ce qu'il a à me dire sur sa vie, son œuvre aujourd'hui. J'ai besoin de repères aussi de la part de personnes qui ont pu collecter et transmettre, comme Pascal Caumont qui m'a appris à chanter et est maintenant professeur au Conservatoire Henri-Duparc à Tarbes, Xavier Vidal qui m'a initié à ces musiques-là, Alem Surre-Garcia pour le côté littéraire et intellectuel, Eric Fraj, Thierry Roques.

Quelles sont tes activités en tant que formateur ?
J'anime assez régulièrement des stages de chant. Je me suis frotté à la pédagogie au COMDT lorsque Pascal Caumont est parti à Tarbes en 2004. Je me suis occupé des cours de chant, des cours de fifre et des cours de musique d'ensemble. C'est ainsi que je me suis fait une petite méthode de transmission autour du chant. Je travaille sur un répertoire de chants à danser des pays d'oc, de façon à sensibiliser les gens au chant de groupe et de chœur, donc en chant à répondre et en chant polyphonique. Nous abordons souvent l'improvisation et la variation, et je favorise aussi le chant soliste, car on a tendance à se cacher derrière les autres dans le chant en groupe. Depuis deux ans, je travaille régulièrement avec le Centre de musiques traditionnelles de Saint-Flour, dans le Cantal. Il y a une vingtaine de chanteurs, que je vois une fois par mois, et nous avons monté un spectacle avec une mise en scène et des projections vidéos. Mettre ainsi des amateurs sur scène leur permet de s'approprier un projet et de se responsabiliser. Modestement, je transmets ma vision intime de la musique et du chant occitans, c'est-à-dire enraciné mais avec quand même une certaine modernité.

Modernité dans le sens d'ouverture, d'esprit de recherche ?
Oui, et surtout avec la personnalité de chacun, parce qu'il est important, même pour des amateurs, de prendre conscience que nous ne sommes pas obligés de chanter pareil ! Les musiciens qui vous séduisent en général sont ceux qui ont une personnalité. Par contre, certains musiciens affirment inventer une nouvelle musique, c'est un discours très courant que je ne comprends pas.
Pour moi aujourd'hui, il n'y a personne qui peut avoir la prétention d'inventer autre chose que soi-même. On n'est pas tous des Mozart, des Pat Méthény, mais on peut cultiver une personnalité musicale. Avec Brotto-Lopez nous n'avons pas inventé le rondeau ni la scottish, mais nous avons peut-être une façon différente de jouer ce répertoire, due à nos personnalités musicales.

Ce qui compte, c'est le son, l'énergie, l'émotion aussi.
Oui, c'est une question d'attitude, de don, et d'honnêteté, c'est un terme que j'aime bien. La musique que j'essaie de jouer, je fais en sorte qu'elle soit en accord avec mon histoire fondamentale, avec le pays où je vis, avec les idées que j'ai, qui changeront car je suis "petit" encore ! Je pense que c'est important d'avoir une cohésion entre ce qu'on dit et ce qu'on propose sur scène.

L'authenticité c'est être soi-même, et non pas représenter un modèle.
C'est pourquoi j'ai un peu de mal avec les programmateurs qui font des commandes du genre : "Toi tu joues avec lui, vous jouez avec untel, et vous nous faites une merveille ! " Cela donne souvent n'importe quoi. Je pense que c'est plus le travail des artistes de se regrouper entre eux. Il faut des affinités, des personnalités qui s'accordent et se complètent, des choses à partager. Qu'est-ce qu'on a à se dire ?

On accepte certaines propositions aussi parce qu'il faut bien travailler?
On se dit surtout que peut-être cela va être bien ! Et heureusement parfois ça arrive, parfois même un programmateur sur ce genre de commande peut te faire réaliser un vieux rêve...Mais il faut rester vigilant, j'ai du mal avec les étiquettes, je n'ai pas envie d'être un "chanteur oc", que chanteur oc, que joueur de fifre. Les gens te voient dans un contexte et s'imaginent qu'ils ont tout compris de ce que tu fais. Si on te voit jouer un jour une bourrée à la vielle, on va en déduire que tu es joueur de bourrée à la vielle. C'est extrêmement réducteur.

Finalement, tu ne cherches à être que Guillaume Lopez...
Tu as ta chute, là !


Les artistes du CAMOM sont à écouter sur www.lecamom.com