lundi 21 mai 2012

Les Journées de la Musette, janvier 2012 à Toulouse - compte-rendu


Le projet couvait depuis plusieurs années… Il avait failli se réaliser à la Cité de la Musique à Paris, puis avait été rapatrié à Toulouse en 2010, pour finalement se concrétiser en janvier 2012. Pourquoi des Journées de la Musette ? Le Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse avait déjà organisé, les années passées, les Journées du Hautbois, les Journées du Basson, et enfin les Journées du Luth : ce savoir-faire déjà ancien ne pouvait que paraître favorable. Les deux instruments à anche avaient d’ailleurs mêlé avec bonheur les instruments de diverses époques : hautbois renaissance, baroque, classique, romantique et moderne… idem pour le basson, avec en prime toutes les variantes actuelles que connaît l’instrument, sous ses diverses formes françaises (Buffet-Crampon, Selmer) ou sous celle du Fagott allemand, système Heckel. Le luth avait déjà beaucoup à faire entre le Moyen-Âge, la Renaissance et l’époque baroque. Quant à la musette, elle paraissait confinée dans un petit siècle couvrant les règnes de Louis XIV et Louis XV, se limitant aux frontières françaises…

Les choses, heureusement, ne furent pas si simples. D’abord au niveau des partenariats : si le Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse (CRRT sous sa dénomination actuelle) restait le plus important de tous, le COMDT et l’Université Toulouse II - Le Mirail trouvèrent largement leur place… ce qui confère à ces journées leur originalité. D’ailleurs, cette originalité est elle aussi inhérente à la musette. Instrument pratiqué dans les milieux de la musique baroque, elle ne peut laisser insensible toute personne passionnée par le monde des cornemuses en particulier, et celui des musiques orales en général… quitte à la détester, d’ailleurs ! Son timbre et son jeu ont été redevoilés voici un peu plus de trente ans grâce aux chercheurs et aux facteurs. Trois axes apparaissaient donc au moins : celui de la facture instrumentale associée à la recherche organologique, celui de la musicologie pure et celui de la pratique. Le choix de Toulouse s’avérait particulièrement opportun : c’est la seule ville de France où réside une classe dédiée à cet instrument, dans un conservatoire de région de surcroît ; la ville est également le siège d’un centre régional de musique traditionnelle, qui plus est doté d’un atelier de facture d’instruments en bois tourné et son université possède un département de musique où la recherche est cultivée de manière dynamique. La ville rose est donc devenue, l’espace de trois jours, la capitale de la musette. Les trois axes se répartirent auprès des trois partenaires : recherche pour l’université, facture instrumentale pour le COMDT, master class, exposition et concert pour le CRRT.

Qui s’intéresse à la musette, qui en joue ? Le réseau s’est constitué petit à petit, lors des dernières décennies. Les intervenants de la session d’étude à l’université, le 13 janvier au matin, venaient d'horizons différents. Florence Gétreau, dont le rôle auprès de l’ancien Musée Instrumental du Conservatoire de Paris, puis lors de l’élaboration du Musée de la Musique à la Cité de la musique de la Villette, fut capital, dirige actuellement l’Institut de Recherche sur le Patrimoine Musical Français (IRPMF), laboratoire CNRS, après plusieurs années à la tête des collections musicales du Musée national des arts et traditions populaires. Elle fit part de récentes découvertes en iconographie et commenta bon nombre de représentations de musettes, en peinture comme dans les arts décoratifs (scènes de genre et galantes, natures mortes, portraits, trophées), rappelant le rôle capital de l’image lorsqu’on se penche sur la pratique musicale ancienne. Les trois autres intervenants, à la fois musiciens et chercheurs, abordèrent des aspects plus pratiques de la recherche : pour Vincent Robin, on fit l’inventaire des instruments signés Chédeville subsistant actuellement (le nom des fameux trois frères musettistes, facteurs, et compositeurs pour deux d’entre eux, Esprit-Philippe et Nicolas), en émettant diverses hypothèses sur le ou les atelier(s) où elles furent produites. Ce qui est certain, c’est que les Chédeville travaillèrent dans la plus pure et parfaite tradition de la facture instrumentale, héritée de leurs oncles les Hotteterre, inventeurs de leur côté de la flûte, du hautbois et du basson sous leur déclinaison baroque… belle filiation. Patrick Blanc évoqua un répertoire moins connu que celui des années 1720 - 1740, très abondant et globalement répertorié, pour évoquer les musiques que la musette a pu jouer, dans les débuts de son existence, soit de la fin du XVIe siècle jusqu’au milieu du suivant : cette approche passionnante et intuitive - car très peu de musiques susbistantes précisent l’emploi de l’instrument - éclaira considérablement les questions abordées l’après-midi avec les facteurs. Ce répertoire, déjà un petit peu approché par d’autres musiciens, est devenu l’une des spécialités de Patrick Blanc et sa contribution s’avéra capitale pour mieux connaître les tenants et aboutissants de l’histoire de la musette : au départ, instrument très proche des modèles populaires, au répertoire largement extrait de la tradition orale, entrant tout naturellement, « par la grande porte » pourrait-on affirmer, dans le monde de la musique écrite - mais non encore « savante » selon certains jugements ultérieurs. Jean-Christophe Maillard, enfin, proposa une mise au point sur le problème délicat d’une musique savante et écrite, celle du XVIIIe siècle français, face aux spécificités d’un instrument à bourdon. Que faire lorsqu’une musique écrite pour la musette (ou la vielle, le cas est le même) se met à moduler et à changer de tonalité ? Que peut-on écrire à ce sujet, à l’époque où l’on élabore ce type de musiques ? Les réponses sont surprenantes : alors qu’aujourd’hui on enjoint parfois aux musiciens de couper leurs bourdons, tout porte à croire que ceux-ci se conservaient en presque toute circonstance. Le bourdon n’est donc pas qu’un son harmonique destiné à accompagner des pièces ancrées de manière immuable dans un seul mode. Les escapades des tons de do ou de sol à ceux de sol, , la mineur ou majeur, fa, voire mi bémol ou si bémol, sont assez fréquentes, le tout sur fond de bourdons en do ou en sol… Et comme aujourd’hui, certaines oreilles s’en trouvaient très déstabilisées, quitte à écrire les plus acerbes pamphlets à l’encontre de la musette et de la vielle, alors qu’on peut sans doute affirmer que le bourdon est une sorte de son d’ambiance, enrichissement (ou salissement, selon certains psychanalystes) du son mélodique, contribuant selon les uns au charme, et selon les autres aux maladroites dissonances qui émanent de l’instrument…

La redécouverte de la musette, à la fin des années 1970, n’aurait pu se faire sans l’apport des facteurs. La séance qui se déroula au COMDT fut une exceptionnelle circonstance qui permit à deux pionniers de se revoir, après quelques trente années : Jean-Louis Épain, le tout premier à avoir refait une musette selon les critères les plus exacts, et Remy Dubois, actuellement le plus fameux facteur de ces instruments, mais artisan à la retraite depuis quelques mois – ce qui ne l’empêche nullement de poursuivre ses recherches et de continuer à assurer une petite production de prototypes, à titre privé… tout en proposant des conseils pour les rares jeunes facteurs se risquant dans la difficile fabrication de ces instruments d’une grande sophistication technologique. Nicolas Rouzier et Gaëtan Polteau sont de ceux-là : Nicolas présenta ses recherches sur les soufflets à côtes, particulièrement efficaces, presque toujours utilisés pour les musettes baroques, mais très délicats à concevoir. Sous l’écoute attentive et les questions fréquentes des facteurs et du public présent, Remy Dubois proposa un long et captivant exposé sur les musettes des XVIe et XVIIe siècles, qui subsistent en tout petit nombre (moins de cinq apparemment !) dans les musées et collections privées. Ainsi, les propos de Patrick Blanc, lors de son intervention du matin, se trouvèrent largement étayés par la présentation de copies d’instruments que l’on pouvait découvrir pour la première fois en public : la fameuse musette d’Ambras, qui figurait déjà dans les collections de Ferdinand II de Tyrol en 1596, la musette à un chalumeau du Kunsthistorisches Museum de Vienne et la belle musette avec bourdon « tous jeux » d’Avignon étaient réentendues, par copies interposées, sous les doigts de Dominique Paris et de Jean-Pierre Van Hees. Des sonorités proches de celles que l’on connaissait déjà, mais chacune nimbée d’une personnalité unique, aux couleurs parfois plus acidulées, rappelant peut-être un peu plus celles des small pipes britanniques, se mettaient à faire entendre le répertoire que la facilité nous avait jusqu’alors poussés à jouer sur des instruments d’une esthétique plus récente d’un siècle, les musettes des années 1730 dont nous jouons presque toujours les copies.

Belle journée que celle du 13 janvier ! Entretemps, une petite exposition composée de quelques panneaux et vitrines s’était installée en l’espace Xavier Darasse du Conservatoire de Toulouse, évoquant l’histoire de la musette de ses débuts à aujourd’hui, et montrant quelques instruments, partitions et gravures anciennes. La matinée du samedi était consacrée aux classes de maîtres, assurées par Jean-Pierre Van Hees et Jean-Christophe Maillard. Bien que l’événement se soit déroulé lors d’un stage mensuel du département de Musique Ancienne, on ne remarqua la présence active que de musettistes, venus de Bordeaux, Limoges, Paris et la Belgique… soit quelques élèves de la classe toulousaine, profitant de leur stage, ceux du Lemmensinsitut de Louvain – donc des deux classes officielles en Europe – et un cabrettiste-musettiste très illustre sur le premier des deux, le fameux cabretaire Dominique Paris… point de violoniste, ni de flûtiste, ni de hautboïste par exemple : petite déception qui fut compensée par une collaboration de qualité des étudiants du Département au concert du soir, et qui permit aux participants de travailler copieusement sous la direction d’un professeur inhabituel : les Belges avec Jean-Christophe Maillard, et les « Toulousains » (au moins lors des stages mensuels du département) en compagnie de Jean-Pierre Van Hees. Si la foule des curieux fut clairsemée, elle n’en fut pas moins attentive et très motivée.

Le clou médiatique de l’événement résidait dans le concert du samedi soir à Saint-Pierre-des-Cuisines. On avait voulu rassembler un maximum de musiciens, plusieurs n’ont malheureusement pu venir, à commencer par le petit nombre d’instrumentistes résidant hors de France : deux ou trois au Canada et aux États-Unis, un au Japon, divers Autrichiens, Suisses, Allemands, Luxembourgeois, Catalans… une dizaine de musiciens au total, en y ajoutant l’un des « espoirs » de la jeune génération, par ailleurs flûtiste baroque et cornemuseux de renom, François Lazarevitch, retenu depuis de longs mois par un autre engagement. On a quand même pu entendre d’assez vastes ensembles : un groupe de sept musettistes français, auquel s’étaient jointes diverses musiciennes du CRRT… parmi lesquelles la flûte solo de l’orchestre du Capitole, une professeure de hautbois du Conservatoire, et un beau continuo, qui firent sonner le Quatrième Concert Champêtre d’Esprit-Philippe Chédeville d’une manière qui n’avait guère dû se faire entendre depuis quelque deux cent cinquante ans, à compter que les orchestres de musette aient existé à l’époque. Les Belges, assistés de Jean-Christophe Maillard, de Bernard Fourtet au serpent et de Guillaumine Fayköd à l’orgue, jouaient de leur côté le concerto comique Margoton de Michel Corrette, avec à la partie soliste l’excellent et prometteur Pieterjan Vanderkerckhove. C’était aussi l’occasion d’entendre une composition récente de Gilles Colliard, un Grand Duo pour musette et violon, dans un langage ne devant plus rien au baroque français, mais rappelant plutôt le style d’un Bartók. Pierre Bats, déjà dédicataire d’un concerto pour musette et cordes du même auteur, assurait la partie de musette en compagnie de ce dernier au violon. Jean-Christophe Maillard jouait de son côté une brillante sonate de Boismortier (4e de l’œuvre soixante-douzième) et Jean-Pierre Van Hees un concerto de l’opus XVII de Naudot, l’un et l’autre accompagnés d’instrumentistes et/ou professeurs du CRRT. La palme de l’originalité revenait une fois de plus à Patrick Blanc qui proposait un panorama passionnant et diversifié de musiques antérieures à Lully : airs de Guédron et Moulinié (contemporains de Louis XIII), pièces et airs anonymes, ballets de cour divers, le tout accompagné de cornets et serpent placés sous la direction de Philippe Matharel, et en compagnie de l’excellente soprano Émilie André. Il fallait un « bœuf » final : on parvint même à faire concerter deux groupes de musettes, accordées les unes et les autres dans des diapasons distants d’un demi-ton. Un petit arrangement malin et des effets polyphoniques inaccoutumés permirent alors de faire sonner conjointement des instruments accordé aux la 415 et 392, gageure que les dix musettistes se firent un bonheur de remporter, s’appuyant sur le répertoire de branles de village de Borjon, et sur le vaudeville La Servante au bon tabac. 


Le lendemain matin, dimanche 15 janvier, les « survivants » se rassemblaient autour d’une table ronde où chacun faisait part de ses expériences et de ses projets, de manière à imaginer de quoi pourrait se composer le futur de la musette. Première urgence : les facteurs. Le dernier à produire officiellement des musettes est un Hollandais, Paul Beekhuizen, qui n’a pas répondu à notre invitation. Paul fabrique également divers types de hautbois et de cornemuses, peut-être a-t-il mis la fabrication des musettes en sommeil face à un carnet de commandes autre : c’est souvent l’une des raisons qui font chuter la production et qui retardent la formation longue et délicate du facteur de musettes. Les structures d’enseignement se développent lentement : Jean-Pierre Van Hees a déjà formé un jeune Professeur, Pierre Bats, diplômé en musette du Conservatoire de Toulouse, et titulaire d’un D.E. Un certain nombre d’amateurs possèdent des instruments de Remy Dubois ou de Paul Beekhuizen. Un progrès reste aussi à faire dans la discographie, sachant qu’il est toujours long et délicat de convaincre les firmes de disques pour la production d’albums… mais le monde de l’Internet et des téléchargements légaux favorise la propagation à moindre frais. Pourtant, la musette appartient désormais au paysage sonore des interprétations à l’ancienne, la plupart des opéras de Rameau, Lully, Montéclair, Campra, Marais ou Destouches l’employant ont été enregistrés de manière à respecter les intentions de ces compositeurs qui souhaitaient l’adjoindre à leur orchestre. La période où la musette était systématiquement remplacée par un hautbois est quasiment révolue, même si de désagréables surprises peuvent encore survenir, çà et là. On espère faire de nouvelles découvertes musicologiques et susciter d’autres compositions respectueuses des contextes sonores : en premier lieu prendre en compte que la musette est un instrument à bourdon et à gamme non tempérée… quitte à inventer par la suite de nouvelles techniques, et des ressources inédites.

Les derniers participants et spectateurs se séparaient après un repas convivial, et évoquant déjà de nouvelles journées de la musette, dans un autre lieu : y aura-t-il par exemple des Biennales se déroulant en divers endroits ? C’est à l’avenir de décider ! 

Jean-Christophe Maillard

Journées de la Musette 
Journées d’études autour d’un instrument emblématique du baroque français
13, 14 et 15 janvier 2012 à Toulouse
Organisé par par l’Université Toulouse II-Le Mirail et le Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse en partenariat avec le COMDT.

Télécharger le programme des Journées de la Musette en cliquant-ici.