lundi 21 mai 2012

Adara, Vox Bigerri - chronique CD


Par un beau matin de fin d’hiver, je reçois un OMNI (Objet Musical Non Identifié). Il s’agit du CD dernier-né de l’ensemble de voix d’hommes de Bigorre Vox Bigerri. Connaissant les lascars et appréciant leur travail, je ne tarde pas à l’écouter.
Tout de suite, la minéralité des voix est là. Le corps chante, vibre au travers des enceintes et je me replonge dans quelques soirées conviviales que j’ai eu l’occasion de vivre avec eux.

Mais me voilà un peu décontenancé : en effet, étant d’obédience classique (mais ouvert à toutes les esthétiques), ce disque avec des prises de son dans des acoustiques différentes, polyphonies et séquences d’entretiens mêlées m’interrogent.
Mais quel est donc cet objet ? Prenez une tranche de vie que vous faites mariner dans des vibrations vocales et corporelles, ajoutez-y une bonne pincée d’acoustiques révélatrices des lieux et vous obtiendrez dans l’instant une (in)fusion des voix et des esprits. Cet instant, ce présent et la spontanéité des chants sont l’essence même de la démarche artistique, le ciment du groupe.

Le nouvel opus essentiellement composé de chants traditionnels comporte également deux pièces contemporaines. C’est à mes yeux précisément cette ouverture vers un répertoire contemporain qui m’apparaît comme un signe de vitalité. Le répertoire traditionnel doit vivre son aventure créatrice, être en mouvement. Vox Bigerri contribue à la création d’un nouveau répertoire aux racines traditionnelles qui sera lui-même plus tard le ferment d’une nouvelle évolution si nous le rendons indispensable. C’est tout l’enjeu de la création, de la diffusion et de la circulation des nouveaux répertoires.

Mais reprenons l’écoute ! Magnifique chant introductif L’aute jorn dins l’ort avec une acoustique très porteuse qui rend au mieux les couleurs et les timbres de voix. En revanche, l’atterrissage est délicat sur la seconde pièce en raison précisément du passage en extérieur et donc un changement radical d’écoute. C’est un peu la limite de l’exercice car ici nous n’avons qu’une perception auditive de l’environnement. Certainement qu’à ce moment là, avec les gens, les couleurs, les odeurs et l’ambiance, ce chant avait un autre sens que celui que je perçois au travers du disque. Retour dans l’église avec une pièce solo Be i a longtemps joenessa suivi de Las peras dont le très bel arrangement nous entraîne bien plus loin que dans nos Pyrénées. Nous voyageons avec Vox Bigerri pour aller parfois titiller des harmonies traditionnelles scandinaves. Après une brève pièce soliste voici la magnifique chanson Era cançon de Grangèr qui nous ramène dans la Bigorre avec l’histoire de ce déserteur. Couleurs, piani, forte, une palette vocale où le groupe fait merveille. Et voilà Montségur 1944, chanson contemporaine aux dissonances qui demandent une technique et une oreille plus affirmées. Vox s’y plonge avec délectation pour nous livrer un Montségur minéral à souhait. Pas le temps de sortir du château et me voilà les pieds dans l’eau avec M’a prés per fantesia que nos amis Corses présents s’empressent de commenter sur le vif. La pièce suivante fait partie du répertoire corse E muntagne d’Orezza. Je ressens toutefois qu’il ne s’agit pas du répertoire d’immersion de l’ensemble. L’ornementation y est moins naturelle mais reste convaincante. S’ensuit l’extrait d’un dialogue avec un curé corso-libano-niçois sur le chant spontané et non académique qui se termine par l’affirmation du groupe qu’il a plein d’horizons et pas seulement des racines. Cela se vérifie dans les chants suivants essentiellement traditionnels avec un horizon contemporain au travers de Breçairola. Vox Bigerri termine en nous amenant au bout de la nuit avec Diu de la nuèit où il est question des amours d’une jeune femme. Jolie polyphonie à trois voix sans emphase et sincère où le vivre ici et maintenant prend tout son sens.

Jean-Louis Comoretto

Adara
Vox Bigerri
Le Fil, 2011

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