vendredi 6 mars 2015

Les Conversations musicales 2014, Toulouse.
Table ronde autour de l’accompagnement

par Clémence Montariol

Cette troisième édition des Conversations musicales nous a réunis autour d’un nouvel axe de réflexion tout aussi passionnant que celui des deux éditions précédentes : il s’agit de l’accompagnement, et en particulier celui du chant. De fait, autour de cette table ronde, étaient présents des musiciens venant de répertoires que l’on appelle traditionnel ou ancien et qui chacun vit et expérimente la dimension du concert : Vittorio Ghielmi (musicien, compositeur, professeur notamment au Mozarteum de Salzburg en Autriche, Franck Ferrero (musicien et formateur en musique traditionnelle occitane), Dominique Regef (improvisateur, compositeur, spécialiste d’instruments à cordes frottées). Pour animer cette table ronde était également présent Marcel Pérès (musicien, chercheur, directeur artistique de l’Ensemble Organum et du CIRMA à l’Abbaye de Moissac).


Photo Thomas Guillin

Il s’agissait de mettre en évidence l’interactivité présente entre les univers trop souvent cloisonnés des musiques anciennes et traditionnelles mais aussi d’un réel échange avec le public qui a justement questionné cette notion de « tradition » pour clôturer cette table ronde.
La thématique de l’accompagnement est intéressante puisqu’elle porte en elle-même une vaste pluralité de concepts. Le mot lui-même « accompagnement » a, selon les contextes, différentes acceptions. L’accompagnement n’a pas toujours signifié ce que le XIXe siècle a forgé dans l’imaginaire de chacun : un piano « accompagnant » une voix soliste. Accompagner est même en soi une notion assez récente. En effet, elle compte à peine deux siècles derrière elle. Par conséquent, si l’on s’intéresse aux termes utilisés jusqu’à cette date pour parler d’« accompagnement », on constate que l’on employait plutôt « consoner », « concerter », « faire du déchant », etc. Tous ces termes regroupent un seul concept primordial : celui de faire de la musique ensemble. C’est pourquoi ils peuvent aussi bien être appliqués à la musique ancienne qu’à la musique traditionnelle (puisque seule la manière dont le répertoire est transmis varie).

Franck Ferrero nous a illustré ce que pouvait être l’accompagnement dans certaines formes de musiques traditionnelles. Le terme d’accompagnement est-il d’ailleurs tout à fait adéquat en ce qui la concerne ? Lorsqu’on emploie ce terme, on pense tout de suite à une mélodie principale et un ou plusieurs éléments secondaires venant se greffer en-dessous de celle-ci. Cependant, il existe des cas davantage méconnus mais non moins fréquents dans la musique traditionnelle : celui du chant en repons ou encore celui du chant accompagné d’un violon par exemple. Pour chacun de ces cas, deux groupes d’éléments musicaux sont présents et ont la même importance dans la musique. Le terme d’accompagnement reste donc insatisfaisant. En effet, ici, rien ne peut fonctionner seul ; il y a toujours interaction et interdépendance.


Photo Thomas Guillin


Pour Dominique Regef, ce que l’on nomme accompagnement ne sert pas, en réalité, à embellir une mélodie. Il est en totale complémentarité avec elle. Malgré les apparences, la musique à bourdon dans la musique traditionnelle en est un parfait exemple. Prenons par exemple le cas de la vielle à roue où l’équilibre entre la voix et le bourdon doit absolument être de mise. C’est ce bourdon (que l’on pourrait qualifier de « rugueux ») qui permet d’inciter la voix à atteindre un timbre particulier. L’harmonie est alors réduite à sa plus simple expression ; l’oreille doit analyser la distance entre chaque note chantée et le bourdon. Dominique Regef nous précise que la vielle à roue a d’ailleurs été inventée, en premier lieu, pour accompagner le chant, son nom était alors « organistrum ».
L’art de l’accompagnement est, en outre, celui de l’unité et de l’énergie. Dès lors, l’art du suonar parlante exposé par Vittorio Ghielmi trouve parfaitement sa place dans cette discussion. Il est ici question d’une pratique visant à utiliser l’instrument de façon à ce qu’on ait l’impression qu’il « parle ». Pour illustrer cet art, le compositeur et violoniste Niccolò Paganini (1782-1840) semble le plus évocateur. En effet, à travers son répertoire, tout est destiné à reproduire des effets vocaux ; la virtuosité n’y est donc jamais gratuite. Vittorio Ghielmi nous rappelle d’autre part que tous les traités anciens mènent au même constat : l’instrument de musique doit imiter la voix, il est là avant toute chose pour « parler » et non pas pour « sonner ». Dès lors, la musique ancienne néglige la ligne mélodique « pure », sans incidents, dépourvue de fluctuations. Pour parvenir à atteindre une mélodie qui imiterait la voix, il faut y insérer des « consones » comme il en existe dans la parole. Ce sont elles qui, comme dans le langage parlé, provoquent l’articulation. Cette dernière va permettre de comprendre l’avant et l’après qui se rencontrent dans un présent. Il faut briser dans une continuité pour mieux discerner et mieux distinguer. Soulignons qu’en ce qui concerne l’Antiquité, imiter la voix signifie avant tout imiter celle de Dieu, celle d’Adam, au demeurant la voix de l’homme parfait. Il est par ailleurs important de noter que dans toutes les traditions, le son n’est rien d’autre que ce qui unit la matière et l’esprit, la terre et le ciel.

    L’accompagnement est donc l’art de concerter, l’art de faire vivre. Marcel Pérès nous rappelle qu’en réalité, les barrières du chant et de l’accompagnement n’existent pas. Si l’on prend l’exemple de l’organum au XIIe siècle, on s’aperçoit qu’un chant va devenir la matrice d’autre chose ; lorsqu’un chant a du potentiel, on s’en sert pour créer autre chose. Dans ce cas, il s’agit de chanter en valeurs très longues pour que chaque son de la mélodie en génère d’autres. De fait, on finit par en oublier le chant qui est à l’origine de la pièce.
    L’accompagnement traduit donc un « être ensemble », le concert du lendemain avec les polyphonies sardes nous l’a clairement illustré : quatre voix qui forment un bloc compact en-dehors duquel aucune d’entre elles ne pourrait vivre isolée.

    Dans la musique traditionnelle comme dans la musique ancienne, le terme d’« accompagnement » n’a pu être totalement endossé par les intervenants. En effet, il a semblé de prime abord que ce terme pouvait paraître réducteur, ceci du fait que celui-ci comporte bon nombre de conceptions biaisées qui circulent dans l’imaginaire de chacun. Il a donc été nécessaire de rappeler que, paradoxalement, l’accompagnement ne signifiait pas seulement « accompagner ». En effet, tournent autour de lui une infinité de façons de vivre la musique et surtout de la vivre ensemble.
Cette troisième édition des Conversations Musicales a su questionner un concept qui aurait pu apparaître sans réserves possibles, et de fait a brillamment démontré un élément important : la définition d’un terme ne peut être ni arrêtée, ni dogmatique, mais doit au contraire toujours être discutée.

Clémence Montariol
Étudiante en master 2 d’ethnomusicologie
Université Toulouse-Jean-Jaurès