vendredi 6 mars 2015

Lestrille de La Forcelle



Sur la pochette, deux musiciens, quatre pieds qui ne touchent pas terre... et pourtant, dans l’album Lestrille, le duo La Forcelle composé de Lolita Delmonteil-Ayral (accordéons diatoniques, chant) et de Camille Raibaud (violons) assume et incarne un ancrage musical aux origines et influences multiples, de la Galice à la Suède en passant bien sûr par la Gascogne, moelle épinière de leur répertoire à danser.




    Dès la première écoute, on peut remarquer une prise de son fine et nuancée qui laisse s’exprimer les timbres complémentaires des instruments. Les arrangements participent également à un son bien équilibré qui permet de dévoiler tantôt de fines harmoniques du violon, tantôt d’entendre la respiration du soufflet de l’accordéon, sans pour autant se cantonner dans un son feutré ou systématiser un son minimaliste. Le frappement du pied, bien présent tout au long du CD, ajoute une dynamique à leur musique à danser et produit même un effet de basse notamment sur le rondeau Lestrille.


Extrait à écouter : Suite de rondeaux


    Le CD s’ouvre sur une Suite de rondeaux qui met particulièrement à l’honneur les talents de variation des deux musiciens, tant au niveau rythmique que mélodique. Leurs arrangements proposent, à chaque tour de mélodie, voire à chaque changement de partie, une nouvelle couleur, un nouveau regard sur le thème interprété. L’oreille pourra également être attirée par les effets de doubles pistes utilisés dans cette suite. Sur le troisième thème apparaissent deux pistes de violon à l’octave qui se rejoignent dans les aigus à l’unisson pour introduire le dernier thème. Cet enchaînement crée une progression particulièrement dynamique renforcée ensuite par un ostinato de basses d’accordéon bien trouvé et qui « dépoussière » en beauté cet air traditionnel connu d’après Ulysse Salesses. Les deux musiciens semblent avoir bien tiré avantage des possibilités qu’offre un enregistrement en studio : en plus de légers effets de réverbe bien dosés faisant vibrer de belles mélodies comme Ivana, des doubles pistes utilisées à bon escient, un auditeur patient pourra dénicher à la fin une piste cachée utilisant un effet qui le transportera dans une autre temporalité.
    Au fil des écoutes, la palette de nuances s’élargit et dessine en même temps les contours d’une musique signée, reconnaissable : de la simplicité d’airs à l’unisson bien balancés à la complexité des ornements, des modulations et des harmonisations toujours en mouvement, les musiciens proposent leurs interprétations en assumant l’alternance du matériau traditionnel revisité et des airs de composition plus récents.
    On pourrait cependant regretter de ne pas entendre plus tôt (et plus souvent) la voix de Lolita Delmonteil-Ayral qui propose, en clôture du CD, une belle interprétation du thème traditionnel L’amolaire. La première partie du refrain, qui peut notamment se voir transcrite « E zu tsu tsu tsu tsu 1 » dans des versions déjà enregistrées, est dans cette interprétation ornée d'un « r » roulé : « E ru tsu tsu tsu tsu »2. Ce détail a priori insignifiant vient selon moi renforcer et parfaire l’harmonie de ce refrain qui fait entendre le son, par mimétisme, de la lame du couteau sur la pierre à aiguiser de l’amolaire (qui en occitan signifie le rémouleur).
    En refermant le CD, cet objet prend des allures de carton d’invitation pour aller les (re)découvrir en bal…


Éline Rivière

 
Notes
1. Aval-aval, Musiques d’Olt, chants et instruments en Quercy, Cardaillac : AMTP Quercy, [2009]

2. Une autre version féminine chantée par Alberte Forestier dans le livre-CD Voix traditionnelle d’aujourd’hui (La Granja, [2014]), présente  un « r » non roulé. Une version avec un « r » légèrement roulé  a été chantée par Guillaume Lopez dans le CD Courant d'air de Cyrille Brotto (2004).