Romain Baudoin, volontiers promu « Steve Vai de la vielle à roue » en commentaires de YouTube, nous offre un album assez expérimental, où un instrument hybride est largement mis à l’honneur. Le morceau qui introduit l’album s’intitule Paret, certainement pour évoquer ce mur du son qui lui a inspiré la fabrication du double instrument vielle à roue alto / guitare électrique et qui a pour nom torrom borrom (« chaos » en gascon : sa prononciation entraîne l’onomatopée qui évoque un éboulement). La musique improvisée se nourrit d’instants, d’écoute pure, et surtout d’exploitation de l’immédiateté. Par exemple que peut-on faire de plus improvisé que l’exploration de larsens ? L’album en est (un peu) pourvu, et ici on en revendique l’esthétique. Est-ce une même sérendipité (titre du deuxième morceau) qui a conduit Romain Baudoin à inventer cet instrument ? Il faut préciser que son luthier Philippe Mounier est coutumier des prototypes et n’hésitera pas à ajouter dans le cas qui nous intéresse, outre des cordes sympathiques, des clapets qui permettent de monter ou de descendre la note jouée d’un demi-ton ; à supprimer le « plumier » pour un accès direct aux cordes et les faire moduler à loisir…
Quant à la guitare électrique, fichée dans un corps étranger, ou en s’extrayant comme une excroissance végétale et monstrueuse de la vielle à roue, elle tient beaucoup du stick Chapman, par sa principale caractéristique, qui est un jeu quasi exclusif par « tapping ». On voit bien là le résultat d’une exigence de jeu, précisément, et même de mise en scène : il est vrai qu’une des références avouées de Romain Baudoin est Jimmy Page, le guitariste de Led Zeppelin, qui jouait de la guitare à double manche, afin d’éviter de perdre du temps en posant un instrument pour en saisir un autre… Quelque part entre Radulescu et le rock psychédélique, le musicien travaille cet hybride avec bonheur, il se paye même parfois le luxe d’abandonner la roue pour un archet.
Quant à la référence au « primate », elle se trouve à l’arrière de l’objet :
« Complètement dépourvu d’intelligence, passé par ses fonctions à l’état de brute, le Landais représente probablement l’intermédiaire tant recherché de l’homme et du singe. Sa constitution physique tient du crétinisme. On peut en trouver les causes dans la perversité de ses mœurs, qu’on ne pourrait trouver plus abominable en aucun pays ni en aucun temps. » Il s’agit d’une phrase d’un voyageur du XIXe siècle, Gabriel Bouyn. Elle fait évidemment écho au portrait à charge du Gascon dressé par l’abbé Grégoire et repris par Félix Arnaudin, évoqué dans l’album d’Artus Drac (2010) au milieu du morceau La Gala, comme une sorte d’obsession… Quoi qu’il en soit (et pourquoi pas, remercions-en les mœurs perverses et abominables des ancêtres landais) c’est un album remarquable, avec ses sonorités prenantes, ses rythmes asymétriques… Il est même mâtiné d’un Joan-Francés Tisnèr et d’un Manu Labescat le temps d’une chanson doublement interprétée en gascon et en anglais…
Également à voir et à entendre, un très beau film de Piget prod., qui restitue magnifiquement la structure de l’instrument, notamment par des plans rapprochés:
Alem Alquier
1 Primate
Romain Baudoin
Pagans, 2014
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