vendredi 6 mars 2015

La mission Brunot, août 1913
Fin d’un bel été en Corrèze

Je vois au moins trois façons d’apprécier cet ensemble constitué d’un fascicule mêlant à parts égales textes et images et d’un disque (c’est ce terme qui est employé et j’ai à cœur de le respecter).
La première façon s’attacherait aux trente-cinq pièces, soit aux trente-cinq séquences enregistrées il y a plus d’un siècle à Chaunac (Naves), Le Saillant, Voutezac, Allassac, Objat, Brive, Argentat, La Chapelle-Saint-Géraud… On en trouve les transcriptions intégrales accompagnées, quand jugé nécessaire, de traductions. Les musicologues pourront apprécier des façons de chanter la plupart du temps a cappella, dans un cas avec accompagnement à l’accordéon. Les philologues y trouveront aussi de quoi nourrir leur curiosité, tant la qualité de préservation du support d’enregistrement rend les parlers et paroles de chanson très audibles.
Or, on peut aussi s’attacher à l’histoire elle-même, celle de la Mission Brunot, racontée dans la première partie du fascicule. Ferdinand Brunot, de la même promotion qu’Emile Durkheim à Normale Sup, a joué un rôle important depuis le pôle parisien de constitution des « Archives de la parole », La Sorbonne. On a accès au contexte scientifique dans lequel cette enquête s’est organisée, celui de naissance de la phonétique des sons, d’où un certain protocole d’enregistrement. On a aussi accès au contexte social local dans lequel les contacts nécessaires se sont noués, passant notamment par le monde des félibres du Limousin.




Enfin, et ce n’est pas son moindre intérêt, l’enquête s’est déroulée au mois d’août 1913, soit un an avant le déclenchement de la grande boucherie dont le centenaire est célébré cette année. En amont des histoires de soldats dont tant de traces nous sont adressées depuis quelques mois, comme il est bon d’entendre des voix de femmes de chambre, de cuisinières, d’hôtelières, de bouchères (de vraies !), d’instituteurs, de cultivateurs, de chanteuses, de tailleurs, d’enfants, de repasseuses, de porteuses de journaux, de métayers, de propriétaires, de clercs de notaires, de couvreurs… Et de découvrir, à la faveur d’un raté de fin d’enregistrement que la préoccupation du temps pouvait être de travailler aux champignons pour une femme qui se retrouvait seule… en chantant ?

Philippe Sahuc