par
Alem Alquier
Pour cette Rantèla
entièrement numérique, et inaugurant une nouvelle série, voici une sélection
d’archéologues, de mécaniciens et de transcripteurs…
L’archéologie du
son
Archeotronics,
« la première émission consacrée à l'archéologie des médias sonores et à
leurs manipulations ».
Le son du bébé qui
pleure passé au logiciel AutoTune est complètement inédit ! De même que
la « fusion » entre la Suite pour Violoncelle n°1, prélude, BWV
1007 de J. S. Bach et le Duo des antiquaires par Jean Poiret &
Michel Serrault : il s’agit ici de l’application d’une invention de Roland
Moreno (l’inventeur de la carte à puce) appelée Célimène (l’ancêtre de
l’AutoTune, donc) : irrésistible…
Archeotronics est l’œuvre d’Alexis Malbert : à l’origine
artiste plasticien, il est un talentueux inventeur, chercheur et divulgateur de
la planète sonore. Directeur de la publication du magazine Discuts,
il nous fait partager quantité de trésors. Une de ses gloires en tant que
créateur sonore aura été l’invention de la scratchette (la k7 qui scratche) :
Dans l’un des numéros du magazine en ligne, qui a sa forme en pdf, il est question du found taping (traduisons pour l’instant par l’art de recycler les vieilles cassettes) et l’interview de Harold Schellinx, le pape de la chose, est très intéressante à ce sujet : il révèle qu’aux alentours de 2006-2007 le nombre de cassettes ou de bandes magnétiques trouvées dans la rue a commencé à fortement diminuer ; la mémoire sonore familiale (ainsi que picturale) se garde désormais sur Facebook et autres clouds… raison de plus pour explorer et restituer ces « sons perdus », restaurés, réarrangés et re-montés par Schellinx à la manière du « cut-up1» de William Burroughs (apparemment il n’y a pas grand effort à faire, puisque le cut-up en question serait déjà fourni naturellement avec le cadavre de la cassette…).
Cela dit, toute cette
mémoire de bandes magnétiques bien tangibles est récupérée, transformée,
stockée et répertoriée sur un espace « nuageux »
et il y a un dispositif sur cette page qui permet d’écouter les
résultats de ces trouvailles en streaming (avec iTunes).
La mécanique du son
L’écriture braille fut
inventée au XIXe siècle, comme la musique mécanique. « Il s'agit d'une
exploration sonore qui réoriente le texte écrit (qui nous est familier)… Cela
se traduit par la musique. L'objectif est de conférer au texte une forme
au-delà de la langue écrite et parlée. Le texte a été traduit en braille, qui
fonctionne comme une partition, transformée en papier à musique qui alimente la
boîte à musique. Le résultat joué dans cette vidéo est la conversation
transcrite entre deux concepteurs. » Merci à Geoffrey Dorne qui a déniché cette vidéo… J’aime les télescopages de langages : ils procurent
parfois une impression d’infini… comme si tout était encore à réexplorer.
Et en restant dans le
même domaine « musique mécanique » mais dans un tout autre registre
(virtuel, celui-ci)…
Un jeune designer
coréen propose une application pour tablette et pour smartphone : il s’agit ni
plus ni moins de créer sa propre musique mécanique à l’aide de son iPad ou de
son iPhone…
C’est un fait marquant
: de plus en plus, le degré de virtualité qui est atteint dans la création
d’applications et de gadgets n’a d’égal que l’attachement à reproduire de la
matière palpable à l’extrême, et cet attachement à l’esthétique
« rétro » (mais le mot vintage viendrait heureusement au
secours d’une langue française si pauvre, selon certains…) déborde de nos pages
web. Non seulement l’image reproduite sur ces écrans respire la patine, mais en
plus l’application est vendue avec un argumentaire flattant et aiguisant notre
mémoire des sons de boîtes à musique, qu’on ne trouve plus que chez les
antiquaires.
Bien sûr il y a
toujours des savants fous dans ce genre d’exploration : à côté de ses
recherches plus complexes, le compositeur autrichien Karlheinz Essl a
adapté pour papier à musique un chant de Noël très connu, qu’il prétend
transformer en palindrome : il joue d’abord le papier à l’envers (recto-verso),
puis en commençant par la fin, puis en commençant par la fin de l’envers, et
enfin on a la surprise de reconnaître ce chant à l’endroit :
Puis il en a fait une
transcription pour piano-jouet. C’est très intéressant du point de vue de
l’approche sonore : c’est comme si l’auditeur savait de quoi il s’agit, mais
sans en identifier le sens… j’imagine qu’ont lieu tous les jours dans le monde
des phénomènes linguistiques similaires.
La transcription du
son
Ce n’est plus très
nouveau, mais ce détournement de langage est magnifique : il s’agit d’aller sur le traducteur Google, de copier ce petit texte (qui devient dès
lors une partition) : « pv zk bschk pv zk pv bschk zk pv zk bschk pv zk pv
bschk zk bschk pv bschk bschk pv kkkkkkkkkk bschk » puis de le coller dans
la fenêtre de gauche. En bas à droite de cette fenêtre, il y a l’icône du haut-parleur.
Cliquez et écoutez. Il y a ici détournement non seulement de langage mais aussi
d’outil (de traduction, en l’occurrence) : les inventions numériques que l’on
rencontre un peu partout sur la toile deviennent, souvent malgré elles, des
agents de création… Voir aussi l’œuvre de ce pianiste taïwanais… toujours un
travail sur le même outil de traduction Google :
Mais finissons en
beauté cette Rantèla par Giant Steps de John Coltrane :
C’est la transcription
littérale d’un solo de sax ténor de Coltrane ; il suffit de fixer le centre de
la vidéo et de se laisser porter (remarquons que le transcripteur a allègrement
ignoré le piano avec un certain humour… ce qui néanmoins fournit une bonne
respiration à tout ce foisonnement de rythme visuel).
1 Faites vous-même votre cut-up littéraire :
collez un texte dans la fenêtre et cliquez sur « Cut It Up »… Il est
possible de voir aussi un film sur Ubuweb qui
explique les méthodes de couper-coller de Burroughs (le film dure 87mn et est
pour l’instant en anglais non sous-titré).