« Kat
ça-i est [pour les Baudoin] un laboratoire d'expérimentation autour de
leur pratique, une récréation publique basée sur le plaisir de se retrouver
pour créer une musique ethnique, directe et efficace. Travailler du spécifique vers
l'universel c'est savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va !1 »
A priori voici un disque de danse traditionnelle et de
chants à danser. Dès le premier morceau l’auditeur entend un bourdon frappé (le
tamborin) ;
jusque-là, normal… la fondamentale est là, rassurante. Puis tout à coup une
vielle nous assène (d’une roue volumineuse bien sentie) d’une quarte augmentée
sur ce même bourdon pendant deux bonnes mesures… (attention les oreilles !)
bon, d’accord, pour résoudre enfin sur la tierce majeure. Ouf ! on revient de
loin… Mais c’est qu’il est question ici de faire de la musique expérimentale…
et l’oreille n’est pas au bout de ses surprises : trilles, grincements, sorties
fréquentes du mode sans vergogne… sont monnaie courante du disque. D’autant
plus que peu à peu on s’aperçoit qu’en fait ce premier chant (Quan jo èri filha a marider)
n’était pas en lydien mais simplement en
mode mineur !
Je
n’insisterai jamais assez sur le talent de Roman et Matèu Baudoin : ils
réussissent pleinement une adaptation audacieuse du répertoire gascon avec leur
culture alternative.
Dans
ce premier morceau, précisément, le fait de lier le vers « Que l’aiga s’èra troblada, ailas
!… Que l’aiga s’èra troblada » à une ambiance électronique
produite par des pédales d’effets qui rappellent de loin en loin les ondes
Martenot provoque immanquablement une image très forte, tragique, presque
désespérée… en parfaite adéquation avec
le chant ; et j’affirme que tout le disque (qui est censé être une simple
récréation, ne l’oublions pas !) respire cette atmosphère pathétique, et même sur
les morceaux instrumentaux, qui constituent la majeure partie de
l’enregistrement.
La
volonté d’opérer une rupture avec les convenances du bal, à l’aide notamment de
la recherche sonore, provoque une manifestation inédite d’expressions que,
répétons-le, la musique de culture occitane devrait plus explorer ! Et puis
tout comme dans la formule étendue (la Familha Artús) de ce duo il y a
affranchissement évident des conventions harmoniques : la musique modale est
utilisée comme un support avec la même culture que dans les musiques de rave.
Cependant
certains morceaux (Monenh, Le Long Du Rivage…)
dévoilent un retour aux sources des tempéraments qui « frottent » :
c’est un pur bonheur que d’entendre par exemple dans l’instrumental Monenh des gammes qui
n’existeront jamais sur un piano… on se sent libre. La répétitivité de la
musique traditionnelle qui constitue un des piliers de ce support de danse vole
ici en éclat, comme, j’imagine, les crins du violon de Matèu à force d’appuyer
l’archet sur ses cordes ; mais il est question ici d’expression pure, à
n’importe quel tarif de reméchage, et c’est tant mieux pour notre oreille.
Alem Alquier
Folk off !
Kat ça-i
Pagans, 2012
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