Sauvage et bruitiste.
Les deux musiciens (Pairbon / Roman Colautti et Tomàs Baudoin) ont choisi de
nous livrer une œuvre dépouillée, où les instruments conventionnels ne sont pas
majoritaires. Beaucoup de percussion, lʼutilisation du tamborin en insecte obstiné,
lʼaffirmation dʼune contrebasse têtue…
Recherche sonore, expérimentation : la même contrebasse, archetée, provoque un
contraste extrême avec une voix assez aigüe ; quelques effets de studio discrets
sont notables (comme le delay) mais au fond, très peu utilisés. Ici lʼon trouve la
préoccupation majeure de ces artistes, à savoir sʼaffranchir des échelles du
tempérament égal, faire dissonner les notes (peut-être pour mieux les récupérer en
consonnance), et bien sûr, le tout sur un large tapis de répertoire gascon. Ce nʼest
pas la première fois (et jʼespère loin dʼêtre la dernière) que ces membres de
Familha Artùs explorent des harmonies que dʼaucuns appellent « out » en jazz…
Les arrangements comme à leur habitude sont dʼune grande richesse, et ce
paradoxalement (mais est-ce bien un paradoxe ?) à lʼaide dʼun instrumentarium
relativement limité. Et que ce soit par des effets électroniques (dans dʼautres
contextes) ou bien avec des objets sonnants originaux (bols tibétains, plaques
métalliques, solive…) dans ce CD, la restitution des chansons de neuf et autres
rondeaux trouve ici une atmosphère qui ne ressemble quʼà ces musiciens, et qui
nʼest pas sans rappeler parfois une matière orientale…
Décidément, chaque enregistrement des membres de Familha Artùs (en groupe,
en duo, etc.) apporte une pierre essentielle à la musique occitane, comme en son
temps lʼindispensable Perlinpinpin Fòlc. Et la comparaison nʼest pas exagérée car
on trouve une même foi musicale, une énergie, un désir et un vocabulaire
dʼexploration très proche, à une génération dʼintervalle.
La batalha dʼAchòs, chant modal par excellence (repris il y a trente ans par les
mêmes PPPF dans lʼalbum Al Biule), permet ici une grande variété
dʼaccompagnement : le chant en est lancinant, presque mélancolique, et au milieu
du morceau, la contrebasse quitte soudain son rôle de quasi-doublage de la voix
pour aller vers un walking ostinato… le bourdon étant fourni par un shruti box
(instrument indien censé donner soit une fondamentale, soit une quinte, soit une
tonique, soit les trois, à la manière de la tempura, comme un guide-chant).
La boha est peu utilisée, les recherches sonores semblent désormais recouvrir
dʼautres types dʼinstruments (entre autre le hurgy toy, sorte de chiffonie
contemporaine) et sont restituées avec talent.
Il semblerait que ce travail aille de pair avec une autre préoccupation : celle de la
diffusion libre de droits. En effet il nʼest pas encore très courant de voir un album
pressé sans lʼéternelle phrase « Tous droits du producteur phonographique et du
propriétaire de lʼœuvre enregistrée réservés… etc. » : cʼest quʼici le « propriétaire
de lʼœuvre enregistrée » nʼest pas (ou nʼest plus) sociétaire à la SACEM. Ce qui
entraîne une liberté dʼutilisation publique de cet album, sous certaines conditions :
en lʼoccurrence mention de la paternité, pas dʼutilisation commerciale, et partage à
lʼidentique (licence ouverte Creative Commons by-nc-sa).
Extraits à écouter :
Alem Alquier
D'En Haut
Pairbon / Roman Colautti et Tomàs Baudoin
Hart Brut / Pagans, 2013
En savoir plus :
http://pagansmusica.net
www.hartbrut.com