vendredi 26 juillet 2013

D'En Haut - chronique CD

Sauvage et bruitiste.

Les deux musiciens (Pairbon / Roman Colautti et Tomàs Baudoin) ont choisi de nous livrer une œuvre dépouillée, où les instruments conventionnels ne sont pas majoritaires. Beaucoup de percussion, lʼutilisation du tamborin en insecte obstiné, lʼaffirmation dʼune contrebasse têtue… 

Recherche sonore, expérimentation : la même contrebasse, archetée, provoque un contraste extrême avec une voix assez aigüe ; quelques effets de studio discrets sont notables (comme le delay) mais au fond, très peu utilisés. Ici lʼon trouve la préoccupation majeure de ces artistes, à savoir sʼaffranchir des échelles du tempérament égal, faire dissonner les notes (peut-être pour mieux les récupérer en consonnance), et bien sûr, le tout sur un large tapis de répertoire gascon. Ce nʼest pas la première fois (et jʼespère loin dʼêtre la dernière) que ces membres de Familha Artùs explorent des harmonies que dʼaucuns appellent « out » en jazz… Les arrangements comme à leur habitude sont dʼune grande richesse, et ce paradoxalement (mais est-ce bien un paradoxe ?) à lʼaide dʼun instrumentarium relativement limité. Et que ce soit par des effets électroniques (dans dʼautres contextes) ou bien avec des objets sonnants originaux (bols tibétains, plaques métalliques, solive…) dans ce CD, la restitution des chansons de neuf et autres rondeaux trouve ici une atmosphère qui ne ressemble quʼà ces musiciens, et qui nʼest pas sans rappeler parfois une matière orientale… 

Décidément, chaque enregistrement des membres de Familha Artùs (en groupe, en duo, etc.) apporte une pierre essentielle à la musique occitane, comme en son temps lʼindispensable Perlinpinpin Fòlc. Et la comparaison nʼest pas exagérée car on trouve une même foi musicale, une énergie, un désir et un vocabulaire dʼexploration très proche, à une génération dʼintervalle. 

La batalha dʼAchòs, chant modal par excellence (repris il y a trente ans par les mêmes PPPF dans lʼalbum Al Biule), permet ici une grande variété dʼaccompagnement : le chant en est lancinant, presque mélancolique, et au milieu du morceau, la contrebasse quitte soudain son rôle de quasi-doublage de la voix pour aller vers un walking ostinato… le bourdon étant fourni par un shruti box (instrument indien censé donner soit une fondamentale, soit une quinte, soit une tonique, soit les trois, à la manière de la tempura, comme un guide-chant).

La boha est peu utilisée, les recherches sonores semblent désormais recouvrir dʼautres types dʼinstruments (entre autre le hurgy toy, sorte de chiffonie contemporaine) et sont restituées avec talent. 

Il semblerait que ce travail aille de pair avec une autre préoccupation : celle de la diffusion libre de droits. En effet il nʼest pas encore très courant de voir un album pressé sans lʼéternelle phrase « Tous droits du producteur phonographique et du propriétaire de lʼœuvre enregistrée réservés… etc. » : cʼest quʼici le « propriétaire de lʼœuvre enregistrée » nʼest pas (ou nʼest plus) sociétaire à la SACEM. Ce qui entraîne une liberté dʼutilisation publique de cet album, sous certaines conditions : en lʼoccurrence mention de la paternité, pas dʼutilisation commerciale, et partage à lʼidentique (licence ouverte Creative Commons by-nc-sa).

Extraits à écouter :


Alem Alquier





D'En Haut
Pairbon / Roman Colautti et Tomàs Baudoin
Hart Brut / Pagans, 2013

En savoir plus :
http://pagansmusica.net
www.hartbrut.com