Document bibliographique ou
disque compact ? Livre d’art ou notice d’une création musicale ? En
tout cas, Beatiho ne se rangera pas
dans nos bibliothèques aux côtés des CD. La formule se développe de plus en
plus : il s’agit d’un livre de petit format in-16 (« livre de
poche » cartonné, pour simplifier) accompagné d’un disque compact,
supports appelés à fonctionner en interaction, le son se faisant prolongement
des images et des textes qui y sont proposés.
Les images, ce sont une série de
belles reproductions de ces béatilles dont le musée d’Arles possède une
importante collection. Petits objets élaborés par certaines congrégations de
religieuses, elles ont ici essentiellement l’aspect de boîtes dont une face est
vitrée, ces boîtes contenant en miniature diverses scènes de la vie
conventuelle : les religieuses dans leurs cellules, priant auprès d’un
autel, voire réunies en groupe lors de l’office, en compagnie du célébrant. Les
scènes sont représentées à l’aide de petits personnages en faïence, le décor et
les costumes dus à la patience et la méticulosité des sœurs dont les
« ouvrages de dames » sont avant tout destinés à la piété ou la
dévotion. Le Museon Arlaten, aidé des commentaires exhaustifs des deux
co-auteurs Dominique Séréna et Alain Gérard, a tenu à célébrer cette collection unique de
pièces datées du XVIIe au XIXe siècles d’une manière originale. Leur aspect
à la fois naïf et austère n’est pas sans impressionner, par le spiritualisme
très particulier qui en émane : c’est sans doute ce qui a conduit à mettre
ces productions à la fois étranges et humbles en parallèle avec deux monuments
du mysticisme et de la poésie de l’Espagne de la Contre-Réforme : Thérèse
d’Avila et Jean de la Croix. C’est alors qu’intervient le travail de Guylaine
Renaud et de Beñat Achiary, qui conjuguent leurs talents d’une manière toute
naturelle peut-on dire. De manière tout aussi naturelle s’ajoutent deux autres
partenaires : Dominique Regef sur sa vielle, son violoncelle et sa dilruba
d’une part, et d’autre part Gérard Siracusa aux percussions diverses et
multiples. Pourquoi naturelle ? Parce que chacun reste fidèle à lui-même,
et qu’en même temps une certaine osmose apparaît au sein des morceaux qui
exploitent de l’un à l’autre des climats relativement variés : les deux
textes occitans que Guylaine a insérés parmi les poèmes castillans des deux
grands saints plongent dans une atmosphère de cantilène rappelant certaines
interprétations du répertoire des Troubadours, tandis que le chien insistant et
obsédant de la vielle va induire une rythmique haletante sur laquelle Beñat
plaque ces déclamations éperdues qu’on lui connaît. L’attirail percussif et subtil
de Gérard suscite les envolées en falsetto
de notre fameux vocaliste basque, ou se marie aux walking basses du violoncelle. Les deux voix humaines tentent
parfois de s’opposer, parfois de se compléter… déclamant ces textes que
l’auditeur n’est pas obligé de comprendre, car ils ne bénéficient d’aucune
traduction au sein du livre. Ce parti-pris d’esthétisme total, même dans
l’énoncé de ce superbe castillan que Guylaine et Beñat possèdent de manière
très honorable, n’est pas sans gêner. Est-ce par une pudeur excessive que l’on
a hésité à traduire ces textes difficiles, ou pour les nimber de mystère pour
le non-hispaniste ? En tout cas, le message profond de ces réflexions
mystiques ne sera réservé, dans ce contexte d’un disque publié en France, qu’à
quelques felices iniciados ! Et
ce détail qui pourrait paraître insignifiant semble finalement montrer le fil
conducteur de cette réalisation très originale : par le côté insolite et
envoûtant de ces curieuses petites boîtes contenant des tranches de vies qui
nous sont étrangères, par les sonorités tantôt percutantes, tantôt caressantes,
tantôt presque effrayées des voix servant un texte dont certains ne peuvent
qu’imaginer la teneur, par le support instrumental qui crée superbement les
climats et ambiances, l’auditeur est transporté dans un monde abstrait,
complexe, de ces omnium invisibilium
qu’offre le Créateur aux croyants et qui ouvre l’imaginaire à tout esprit
humain, habité ou non par la foi… C’est alors que les deux textes très
complémentaires que proposent au début du livre Guylaine et Beñat deviennent
parlants : les artistes se livrent à un cheminement proposé par ces objets
empreints d’humilité et de piété, éclairés par les images profondes et les
superbes textes de deux grands poètes et mystiques. Et enfin, à l’image des
crèches provençales, c’est à chacun de rejoindre la divinité ou son image à sa
manière… Au lieu d’être le meunier, le pêcheur, le bûcheron ou le
tambourinaire, nos quatre musiciens sont à la fois eux-mêmes, pétris de leurs
talents, de ces tics ou manies qui en font les personnalités que l’on aime, tout en se dévoilant tels les
« ravis » de la crèche devant le dénuement et la grandeur d’un monde
insoupçonné.
Jean-Christophe Maillard
Beatiho - Thérèse d’Avila et Jean de la Croix
Ouvrage de Dominique Séréna et Alain Gérard
Musique de Guylaine Renaud, Beñat Achiary, Dominique Regef et Gérard Siracusa
Arles, Association
d’idées / Museon Arlaten / Actes Sud, 2012, 76p. et un CD.
En savoir plus :
Quelques pages à découvrir sur www.actes-sud.fr
Extraits à écouter sur www.guylaine-renaud.eu
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Quelques pages à découvrir sur www.actes-sud.fr
Extraits à écouter sur www.guylaine-renaud.eu