
« Je sème à tout vent ».
Contrairement
à une opinion fort répandue, cette devise, emblématique du « Petit
Larousse Illustré », n’est pas due au grand séducteur
Giacomo Casanova, violoniste, écrivain, magicien, espion, diplomate,
bibliothécaire « Vénitien » (1725-1798),
mais
à Émile Reiber, architecte et décorateur français (1826-1893).
(Et
dire que personne ne s’en doutait… sacré Émile !)
N’avez-vous
jamais rêvé de vacances et de ciel bleu, d’un paradis où votre parasol
trônerait solitaire sur une immense plage de sable fin, un fond de bruit de
vagues berçant une douce somnolence… Puis un quidam se pointe avec armes et
bagages et plante son parasol, certes loin de vous, mais il en vient un autre
qui plante le sien, plus tard un autre fait de même et d’autres, d’autres
encore… une armada de parasols qui s’approchent, s’approchent et transforment
votre Éden solitaire en citée HLM des années 60. La jonction de leurs corolles
pourrait être une limite naturelle, décente… Que nenni ! Les intrus
n’hésitent pas à incliner leurs parasols, à chevaucher le vôtre, et, au besoin,
à déplacer votre serviette de bain !
Un
cauchemar fait de promiscuité et de bruits, un monde primitif… the wild beach
of umbrellas lawless !
D’où le
« Paradoxe du Parasol » : « Indépendamment du lieu et du
contexte, il reste toujours assez de place sur une plage pour y planter un
parasol. »
Mais tout,
bien sûr !! Tout !
Qui ne
s’est pas émerveillé devant ces partitions de musique classique agrémentée de
croches simples, doubles, triples ? Des pages et des pages de notes
superposées par pleines rangées et alignées comme à la parade, sortes de
monuments graphiques d’un gothique flamboyant ? Contemplez ces temps binaires,
ternaires, ces quartolets, septolets… ces espaces blancs
parés de somptueux signes cabalistiques dont les noms fleurent Venise et sa
fastueuse Piazza San Marco… pianississimo, sotto voce, rinforzando,
smorzando… Admirez ces implacables tempi à la discrète précision… allegro
appassionato, andante moderato, lo stesso tempo… un monde de rigueur et de
beauté !
Et ploum,
ploum, ploum… voici venir nos partoches de musique
« traditionnelle » où branles, rondeaux et autres bourrées
s’aventurent à remplir des portées où de paresseuses rondes s’étalent
complaisamment alors que, plus loin, quelques croches faméliques peinent à
remplir leurs barres de mesures. Blanches et noires pointées s’y empoignent sur
des rythmes incertains ; 2/4 ou 6/8 ? Va savoir qui
l’emportera ! Sans oublier cette invisible, cette évanescente, cette
fumeuse « cadence » si chère aux danseurs !
La cruauté
de la comparaison fait monter le rouge de la honte à mon visage… Vite, quelques
boites d’antidépresseurs !
Mais
toutes les musiques, fussent-elles populaires ou « traditionnelles »,
se doivent d’obéir aux Grandes Lois Naturelles à commencer par le
« Paradoxe du Parasol ». D’ailleurs Victor Hugo, lui-même, l’écrivait
déjà, dans L'homme qui rit, en 1869 : « L'esprit,
comme la nature, a horreur du vide. » !
Les
premiers à défourailler vinrent des Amériques où de fougueux rythmes latinos,
salsas, bossas-novas, sambas, pasodobles… répondent à ceux du Nord où le jazz
accélère suivi par la country et le bluegrass aussi. Peu après
les Irlandais se réveillent… Ils jouent tous vite et bien, et de plus en plus
vite ! Les mélodies de danses se gorgent d’agréments comme la bière
remplit les pintes. Mordus du mordant, groupies du gruppetto,
stakhanovistes du triolet garnissent les intervalles « déserts »
comme la farce bourre la volaille. La peur du vide, celle dont la nature aurait
horreur ?
Qu’en pensent les danseurs ?
Qu’en pensent les danseurs ?
À ce moment - extraordinaire
hasard - passe devant mes yeux notre Johnny Cazenave, le Roi de la Country
Dance, stetson de travers, chemise à franges et bolo-tie en
bataille :
« Hé ! Salut
Johnny, ça va bien depuis le Pastel 65 1 ? »
J’entends à peine sa voix essoufflée
« … pas le temps… musique… too fast ! » avant qu’il ne
disparaisse au lointain, ses jambes en cerceau s’activant comme les pistons
endiablés du train de l’Enfer.
Que les
démons emportent donc la danse et les danseurs, voici venu le « Temps des
Celtitudes ».
Comment
résister à l’attractivité phéromonique de toutes ces croches, doubles, triples…
à cette virtuosité à portée de main qui inspire bien des groupes
« celtiques » ?
Mais,
comment reconnaître un « groupe celtique » ?
Axiome 1 :
Toute mélodie devient « celtique » dès lors
qu’aucun espace rythmique ne reste vide de notes, le tempo de base pouvant être
indéfiniment accéléré.
Axiome 2 :
La cornemuse écossaise est indispensable aux groupes
du nord et la galicienne à ceux du sud,
Tout autre modèle de cornemuse doit être
soigneusement proscrit.
Cette base théorique étant
clairement définie, vous trouverez aisément sur le Net des groupes de musique
Celto Pop-Anglaise, Celto Cubaine, Celto Rock, Celto
Kabyle, Celto Jazz-Word, Celto Berbère, Celto Bretonne,
Celto Électrique, Celto Punk, Celto Tzigane, Celto
Charentaise, Basco Celte, Celto Médiéval … et même du Celto
Baroque avec Jordi Savall et sa Viole Celtique ! (Jordi, petit coquin,
on avait dit Cornemuse Galicienne pour le sud !!)
Il existerait même des
groupes Celto Celtiques !!
Mais voilà maintenant que
les bourrées accélèrent, ainsi que les rondeaux, polskas et autres
chapelloises. Les musicos remplissent les partoches à une vitesse
qui exclut toute possibilité de retour.
Au bout de cet étroit
chemin, toutes les notes se ressemblent. Où mène ce staccato de machine
à écrire, cette accélération qui écrase les mélodies et les rend
indiscernables, transposables, mondialisables… en un mot
« celtiques » ?
Toutes ces notes noires sur
ces partitions blanches, beaucoup trop de Ying dans le Yang, les
musiciens vont trop loin, ils menacent l’Équilibre Originel.
« Noir c’est noi-ar, il
n’y a plus d’es-poir… ! » chantait Johnny. (Pas le danseur, l’autre.)
Chut !
Alors que les limites de
notre ouïe interdisent toute discrimination, notre cerveau discerne un son
continu, somme de l’ensemble des fréquences… Un « bruit blanc » comme
celui du sable qui coule sur les dunes du désert ou celui des vagues de la mer,
notre Mère Créatrice. Le son du Paradis des Parasols.
Silence !
J’entends comme un bourdon
sonore, une sorte de « OMmmm… ».
« OM », le
Son Primordial, le Verbe Créateur, le Mantra des mantras, la Quintessence de
l'univers.
La révélation illumine mon
esprit : les musiques « celtiques » convergent vers la Sagesse
Ultime pour peu que les musiciens accélèrent encore un peu. Cette élévation
vers le Son Créateur, la musique classique en rêvait et vous, vous l’avez fait.
Courag’ les gâs !
Y reste encore un peu de place pour quelques quadruples croches !
« OMmmmmmmmm… »
Le Celto Bal-Folk
s’anime avec le Cercle Circassien.
« OMmmmmmmmm… »
Les derviches tourneurs
virevoltent majestueusement sur le Cercle de la Perfection.
« OMmmmmmmmm… »
Revêtu du khirqah et
coiffé d’une haute toque de feutre gris, Johnny Cazenave pirouette au milieu
des derviches.
Commmmmmmmm… je suis
bien sous mon parasol…