En premier, un plaisir de langue
et pardonnez-moi si je l’évoque d’abord mais il fut d’abord le mien et, avant
même d’écouter les deux CD, il me vint à la lecture de textes entièrement
transcrits et entièrement traduits en français. On y découvre donc le
« francoprovençal de Rhône-Alpes », celui qui est parlé le plus
au nord de son aire… Mais le plaisir de la langue ne tient pas pour moi à
cerner ce qui serait un particularisme mais plutôt de passer, d’une chanson à
l’autre et donc d’un texte à l’autre, d’un particularisme à l’autre. On peut
ainsi prendre un plaisir d’excursionniste explorant une région pour y apprécier
la diversité des pentes de coteaux, des couleurs de talus. Ne serait-ce pas là
le plaisir de parcourir un atlas ? Un atlas qui ne procurerait pas que de
la connaissance, comme l’utilisation scolaire le laisse parfois entendre, mais
aussi un réel plaisir. Plaisir qui peut aller jusqu’à l’herborisation
buissonnière et la découverte de véritables spécimens, ces mots d’une ruralité
active avec laquelle de moins en moins d’entre nous sont en contact : trékéla est ici le maïs, ponchon le tonneau, barotta la brouette, chioura
la chèvre, bracon l’attelage…
Second plaisir que certains
auraient attendu de voir mentionner en premier, celui de l’oreille : 44 chants traditionnels, soit 99
minutes d’enregistrement, avec la diversité qui va des chants à danser
(rigaudon notamment) aux chants à endormir les enfants ou à réveiller les
désirs… Et donc cela passe par « des chants d’amour, de mariage ou de
déconvenue, de convivialités, berceuses, chants de conscrits et de vogue,
chants de mensonge ou grivois » selon les auteurs.
Que l’on me pardonne si je passe
vite à un troisième plaisir, pour moi précieux, que j’appellerai de
contre-oreille. J’entends par là le fait que ces enregistrements nous laissent
entendre des crevasses dans les voix, nous laissent deviner quelques fêlures
dans les mémoires. On peut également y reconnaître tout aussi bien
l’entraînement aux litanies de l’église de jadis que le vert jaillissement des
éclats d’une culture populaire lorsqu’elle se partageait à l’échelle de
terroirs entiers…
Et puis, pour l’au-delà en
quelque sorte, apparaît La Paimpolaise
là où on aurait plutôt attendu la provençale Arlésienne… La voisine du vieux
manoir, on ne l’attendait pas là ! Mais les concepteurs de ce tome d’atlas
sonore n’ont pas voulu s’en tenir au localo-local. Ils nous restituent la
réalité de régions qui se sont senties, à partir d’une époque donnée, associées
à d’autres régions, ne serait-ce qu’après les frissons d’hiver partagés en fond
de tranchée. Alors oui, l’enregistrement d’une Paimpolaise si loin de Bretagne
n’est pas le moindre joyau de ces chants francoprovençaux !
Philippe Sahuc
Chants en francoporvençal de Rhône-Alpes
Atlas sonore Rhône-Alpes n°22
CMTRA, 2012
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