lundi 17 décembre 2012

Chants en francoprovençal de Rhône-Alpes - chronique livret + 2 CD

Il y a dans cet ensemble d’un livret de 64 pages et de deux CD la possibilité d’un triple plaisir…
En premier, un plaisir de langue et pardonnez-moi si je l’évoque d’abord mais il fut d’abord le mien et, avant même d’écouter les deux CD, il me vint à la lecture de textes entièrement transcrits et entièrement traduits en français. On y découvre donc le « francoprovençal de Rhône-Alpes », celui qui est parlé le plus au nord de son aire… Mais le plaisir de la langue ne tient pas pour moi à cerner ce qui serait un particularisme mais plutôt de passer, d’une chanson à l’autre et donc d’un texte à l’autre, d’un particularisme à l’autre. On peut ainsi prendre un plaisir d’excursionniste explorant une région pour y apprécier la diversité des pentes de coteaux, des couleurs de talus. Ne serait-ce pas là le plaisir de parcourir un atlas ? Un atlas qui ne procurerait pas que de la connaissance, comme l’utilisation scolaire le laisse parfois entendre, mais aussi un réel plaisir. Plaisir qui peut aller jusqu’à l’herborisation buissonnière et la découverte de véritables spécimens, ces mots d’une ruralité active avec laquelle de moins en moins d’entre nous sont en contact : trékéla est ici le maïs, ponchon le tonneau, barotta la brouette, chioura la chèvre, bracon l’attelage…
Second plaisir que certains auraient attendu de voir mentionner en premier, celui de l’oreille : 44 chants traditionnels, soit 99 minutes d’enregistrement, avec la diversité qui va des chants à danser (rigaudon notamment) aux chants à endormir les enfants ou à réveiller les désirs… Et donc cela passe par « des chants d’amour, de mariage ou de déconvenue, de convivialités, berceuses, chants de conscrits et de vogue, chants de mensonge ou grivois » selon les auteurs.

Que l’on me pardonne si je passe vite à un troisième plaisir, pour moi précieux, que j’appellerai de contre-oreille. J’entends par là le fait que ces enregistrements nous laissent entendre des crevasses dans les voix, nous laissent deviner quelques fêlures dans les mémoires. On peut également y reconnaître tout aussi bien l’entraînement aux litanies de l’église de jadis que le vert jaillissement des éclats d’une culture populaire lorsqu’elle se partageait à l’échelle de terroirs entiers…
Et puis, pour l’au-delà en quelque sorte, apparaît La Paimpolaise là où on aurait plutôt attendu la provençale Arlésienne… La voisine du vieux manoir, on ne l’attendait pas là ! Mais les concepteurs de ce tome d’atlas sonore n’ont pas voulu s’en tenir au localo-local. Ils nous restituent la réalité de régions qui se sont senties, à partir d’une époque donnée, associées à d’autres régions, ne serait-ce qu’après les frissons d’hiver partagés en fond de tranchée. Alors oui, l’enregistrement d’une Paimpolaise si loin de Bretagne n’est pas le moindre joyau de ces chants francoprovençaux !

Philippe Sahuc



Chants en francoporvençal de Rhône-Alpes
Atlas sonore Rhône-Alpes n°22
CMTRA, 2012

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