Le premier CD des Poufs à Cordes (Clémence Cognet, Noëlie
Nioulou) intitulé La Trotteuse nous
prend dans une mécanique bien rôdée pour la danse et les oreilles.
Les deux
musiciennes nous embarquent pour une traversée musicale qui voyage dans les
entrailles du temps, en passant par J.S. Bach jusqu’à aujourd’hui, avec des
compositions récentes. Le socle de ce voyage musical est la musique
traditionnelle d’Auvergne et du Limousin, qui puise dans les sources, faisant émerger
des noms comme Peyrat, Mouret, Perrier, puis Durif et Michel Nioulou. Le ton de
cet ancrage au territoire est donné d’emblée par l’allure d’un digipack aux
suggestions volcaniques d’une Auvergne qui ne dort pas et par la présence
importante du jeu de pieds, enregistré très finement par Aurélien Tanghe,
musicien hors pair et magicien du son.
Clémence
Cognet (violon, pieds) et Noélie Nioulou (violon, violoncelle) allient le sauvage
et le subtil et ne tombent jamais dans la facilité ou les clichés. Elles ont
avec elles le subtil, pour savoir se réapproprier Bach, ajouter de fins
ornements, et posséder une belle technique instrumentale ; le sauvage,
pour l’ancrage des tempi, les accents
toniques initiés par un jeu d’archet puissant, l’utilisation de quarts de tons,
de modes et des choix d’harmonisation décapants.
Les
arrangements font autant la part belle à la monodie, avec des violons qui pour
certains thèmes se fondent à l’unisson, qu’à des accords plus complexes qui
vont chercher l’écart de la seconde. Les accords « sauvages » au
début de la suite de polkas Pas Piqué/Les
Furcides vont puiser dans ce que la musique traditionnelle a de commun avec
le rock : les « power chords ».
Ces quintes puissantes, auxquelles on ajoute une distorsion du son (électrique
ou non), s’imposent souvent dans ces deux styles de musiques populaires car
elles permettent d’éluder les questions d’harmonisations majeures ou mineures.
La pauvreté théorique de ce qu’on appelle aussi « l’accord ouvert »
est ainsi compensée par l’énergie et les effets sonores produits par la
pression de l’archet.
Le choix du
répertoire est astucieusement réparti entre des bourrées, des marches de noce,
des mazurkas, une suite de sautières, des polkas et trois valses, dont La trotteuse de Bouscatel, titre
éponyme de leur album. Les invités (Daniel Detammaecker et Julien Padovani)
apportent quelques couleurs supplémentaires au jeu en duo. Le timbre du
chromatique de Julien Padovani dans la valse La trotteuse restitue bien l’esprit
musette de la mélodie, tout en équilibre avec le violon et le violoncelle qui
prennent chacun un tour de mélodie avant qu’elle ne soit jouée par l’accordéon.
Le tambourin à cordes de Daniel Detammaecker accompagne finement la transe de
la belle valse de Chabrier, sur des rythmiques tout en légèreté (là où,
précisément, on n’attendrait pas cet instrument...).
Les diverses
influences présentes dans l’album montrent la technique de ces deux musiciennes
qui maîtrisent à la fois un son précis, ciselé, ornementé, et un son qui
arrache la corde allègrement. Cet album assume très bien les transitions entre ces
recherches esthétiques qui se complètent et s’équilibrent, toujours au service
de la danse : on ne pouvait pas en attendre moins de cet album témoin de
son temps, qui porte haut les musiques traditionnelles auvergnate et limousine.
Je souhaite à La Trotteuse, objet
d’orfèvrerie, à l’évidence objet intemporel, de traverser le temps.
Éline Rivière
La Trotteuse
Les Poufs à cordes
Clémence Cognet (violon, pieds) et Noélie Nioulou (violon, violoncelle)
AEPEM, 2013
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