Écoutez
: c’est du bruit, des bruits, plutôt. Des déplacements de populations (humaines
et animales), assorties d’un discours sifflé : c’est du Silbo Gomero, exprimé
par David Diaz Reyes, ethnomusicologue, spécialiste de la chose.
Puis
des « chansons de neuf » (ou de moins) se succèdent, avec de savants
arrangements, de subtils mélanges de polyphonie vocale et de machines… le sample
et la luette.
Joan
Francés Tisnèr est passé maître dans la confection de chansons à accumulation :
il n’hésite pas à répéter plusieurs fois de suite le même couplet, prétexte à
poésie…
Cette
accumulation est comme un élément obsessionnel de vocabulaire de l’album. Et J.
F. Tisnèr utilise de riches jeux de combinaisons pour une œuvre tout aussi
riche, remplie de sens… on en prend plein les oreilles ! Combinaisons
littéraires ou mathématiques, combinaisons chorégraphiques (il utilise jusqu’à
la codification complexe du saut béarnais) ou acoustiques, puisqu’il est
question d’« octophonie » pour le spectacle éponyme.
Jakes
Aymonino joue un open tuning qui n’est pas sans rappeler John Renbourn
ou Crosby Stills & Nash ; il est vrai que ce type d’accompagnement à la
guitare (une autre manière d’appréhender l’accompagnement au tamborin)
colle parfaitement aux choix esthétiques de Tisnèr quant à la voix, qui peuvent
aussi bien se révéler rythmiques et inattendus qu’obsessionnels (et qui
confinent parfois au méditatif). Autre type de combinaison, celle des voix,
précisément : celle de J. F. Tisnèr, on le sait, est haut perchée, et le
mélange avec celles de Roman et Matèu Baudoin et de J. Aymonino provoque tantôt
un sol fertile cultivé avec force et régularité, tantôt un commerce qui confine
au motet…
Quoi
qu’il en soit, cet album nous offre tous types de « transports » : ne
les modérons surtout pas et goûtons leurs subtilités, de la marche à pied (en
6/8, ou encore bien « au fond » en 2/4 dans la neige…) à l’avion, en
passant par l’automobile (chanson en référence à Tintin au Congo !), le
vélo (qui exprime aussi bien le plaisir que la souffrance, bref, le
sport), le camion ou le train (en polka). Autant de traits intelligents pour un
album excellent, où les compositions – toutes de Tisnèr – et les arrangements
se bousculent dans une unité tranquille. Mention spéciale pour Crane Airways,
une équipée irréelle qui nous soulève à dos de grue de la Gascogne à la Suède
(et retour)… avec le cri des grues cendrées qui hibernent dans la réserve naturelle
d’Arjusanx (Landes).
Tout
l’album est un aboutissement acoustique, une multitude de sons disposés
pertinemment, de la chanson à danser, des tranches de vie… Écoutez : c’est de
la musique.
Alem AlquierTranspòrts Tisnèr S.A.
Joan Francés Tisnèr
L'Autre Distribution, 2012
Pour en savoir plus et visionner des extraits :
www.joanfrancestisner.com