The Ministry Of Type / machine à écrire la musique |
Une fois n’est
pas coutume, je vais parler de typographie dans cette Rantèla. Quel rapport
avec la musique ? D’abord (si j’étais versé dans le spiritisme) j’invoquerais
volontiers l’esprit de Maximilien Vox, dessinateur,
graveur, typographe, écrivain… : « La typographie est un métier ancien et très
simple, aussi simple que de jouer du violon, mais guère plus. » Hormis
pour les cultures qui se réclament de et qui fonctionnent par pure oralité, le
point de rencontre est bien sûr l’écriture, expression laissée par une trace à
un moment donné, qui se transforme tantôt en son, tantôt en discours
intelligible.
Voici un petit
film (Comprendre la musique) qui se trouve être un manifeste pour une
approche intuitive de la musique (et non analytique) ; mais les réalisateurs
allemands du studio Finally nous rapellent qu’au fond, avant d’opérer une
critique, il est nécessaire de pouvoir faire le tour de l’objet, entre autres
choses par la notation : c’est précisément le propos de ce film brillant et
son prétexte à prouesses d’animation et de 3D :
Norman McLaren, cinéaste d’animation canadien, a passé une grande partie de sa vie à gratter la pellicule, en adéquation avec le son. C’est un grand inventeur : continuateur de l’œuvre d’Émile Cohl ou d’Oskar Fischinger, il « trace » du son sur le support principal du cinéaste de l’époque (la pellicule des années cinquante) ; cet extrait montre ses hand-drawn sounds, avec une présentation des interprétations graphiques du son. Exemple surprenant de la trace sonore… qui rappelle la séquence didactique du film Fantasia de Walt Disney, tourné quelques années auparavant, que Oskar Fischinger, justement, a réalisée sur la Toccata & Fugue en ré mineur de J. S. Bach.
Mais son talent fut éclatant dans la chorégraphie des signes, autres traces régénérées et mises en spectacle avec brio : Le Merle, chanson québécoise à accumulation, se prêta parfaitement à ce genre d’exercice (1958) :
On pourrait
raconter longuement la complicité entre musique et écriture, entre le son et le
graphe ; je suis même persuadé que les maqâms ont un lien direct (ou l’ont eu) avec
les différents styles d’écriture arabe : il n’y a rien de scientifique
là-dedans, c’est juste un ressenti personnel ; on pourrait par
exemple apprécier telle calligraphie en style Tuluth en écoutant un taxim
développé en mode Sikah, ou encore du Nuskhi avec le mode Hijaz puisque ce sont
affaires de sentiments… et même si on peut trouver des correspondances de
manière capillotractée1 (telle calligraphie a été élaborée à telle époque
dans telle région, donc il est probable que le mode musical dominant dans ce
même lieu ait les mêmes connotations…), je suis sûr que des échos résonneraient
en chacun de nous qui se prêterait à l’expérience.
Sur cette
thématique je m’en voudrais de passer à côté d’un sujet qui me tient
particulièrement à cœur, celui de la typographie cinétique : Sebastian Lange a
créé ce clip jubilatoire en typo cinétique avec la musique du groupe Forss. Il
faut dire que nous goûtons là à la crème de cette discipline2 : c’est on ne
peut mieux réussi, notamment par l’extrême précision qui ferait pâlir de
jalousie le moindre horloger suisse. Ce qui au fond n’est pas très étonnant car
S. Lange a fait ses études à la Shule für Gestaltung de Bâle…
Pour ceux que
la technologie numérique rebute, il existe un phénomène (mais qui va de pair
avec cette technologie) qui consiste à l’« imiter » : les très
talentueux Bertrand Jamot (photographe) et Philippe Tytgat (graphiste),
entreprennent de fabriquer eux-mêmes leur propre typo cinétique « à la
main »… Le résultat est un festival de bricolage, un hymne à l’artisanat.
Mais ce qui frappe tout de même, c’est cette propension à reproduire
analogiquement le numérique (de manière imparfaite, par définition) : ici c’est
l’image et la typographie, par le système de la pixillation3, là ce peut être
la musique par le beatbox (ou multivocalisme, l’imitation par la glotte
des machines à sons électroniques)… Je le perçois parfois comme une nouvelle
esthétique, mais on pourrait très bien comparer ce fait à l’imitation des
artefacts qui nous entourent et qui ne date pas d’hier (Les cris de Paris
de Clément Janequin ou Cries Of London d’Orlando Gibbons, XVIe siècle)
pour arriver à une œuvre élaborée… Quoi qu’il en soit, ici le parti pris
rythmique est plus que pertinent, et, de plus, le duo se paye le luxe de
matérialiser certaines notes de musique…
… et voilà l’élaboration de la chose :
1 Expression inventée par Pierre Desproges qui signifie tiré par les cheveux. « Un seul verbe vous manque et la phrase s’allonge » (source : Dictionnaire des verbes qui manquent).
2 Depuis quelques années nous assistons à une floraison de petits films qui font s’exprimer la lettre comme elle ne l’a jamais fait auparavant (évoluant dans le temps, lui donnant une élasticité et une dramaturgie inédites), notamment grâce à l’utilisation de logiciels de motion design. Dès lors, la typographie ne pouvait que trouver un partenaire de choix en la personne de la musique…
3 Procédé de cinéma d’animation qui consiste à opérer une prise de vue multiple à l’aide d’un appareil photo (le plus souvent sur pied), de manière à simuler le mouvement… la persistance rétinienne achevant le travail.