par Christophe Carrillon, étudiant en ethnomusicologie
Les Conversations musicales, rencontres des musiques traditionnelles et anciennes étaient organisées du 23 au 25 novembre 2012 par le COMDT en partenariat avec le Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse, l'Atelier Régional des Pratiques Amateurs (ARPA) Midi-Pyrénées et l'Espace Croix-Baragnon - Mairie de Toulouse.
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Xavier Vidal, Odile Edouard, Clémence Cognet et Lucien Pagnon |
Ces journées ont
réuni deux pratiques de terrain, ancienne et traditionnelle, ainsi
que des musicologues, autour de l'ornementation. Il s'agissait de
croiser les savoirs de chacun afin de les enrichir. La table ronde organisée au COMDT le samedi matin a été très
intéressante et nous reviendrons plus loin sur les pistes qui ont
été soulevées par les intervenants et le public. Un stage était
aussi organisé lors de cette manifestation. Il était articulé en
deux groupes de travail : l'un, dirigé par Pascal Caumont et
Jean-Louis Comoretto, autour de l'ornementation dans les musiques
vocales savantes et de tradition orale ; et l'autre, confié à
Odile Edouard et Xavier Vidal, autour du violon et de l'ornementation
dans les musiques baroque et traditionnelle. Le stage s'est déroulé
sur deux demi-journées, le samedi après-midi et le dimanche matin,
et a attiré plus d'une trentaine de stagiaires. Enfin, deux concerts
étaient programmés et se
sont déroulés tous les deux à la chapelle Sainte-Anne. La
programmation faisait écho à l'articulation des stages et à la ligne
conductrice de ces journées : celui du samedi était composé
de pièces instrumentales baroques et traditionnelles ; celui du
dimanche de pièces vocales de la Renaissance et de chants
traditionnels pyrénéens et italiens.
La table ronde sur l’ornementation, samedi 24 novembre matin, rassemblait Philippe Canguilhem, musicologue, maître de conférences à l’Université de Toulouse II - Le Mirail, Jean-Louis Comoretto, chanteur, membre de Scandicus et directeur de l’ARPA Midi-Pyrénées, Yves Rechsteiner, organiste et claveciniste, professeur de basse continue et responsable du département des musiques anciennes au CNSMD de Lyon, Xavier Vidal, violon, professeur-coordonateur du département des musiques traditionnelles au CRR de Toulouse, avec pour modérateur Jean-Christophe Maillard, musicien, docteur en musicologie, Université de Toulouse II - Le Mirail.
Les Conversations
musicales avaient pour objectif de faire se rencontrer des
musiciens et chercheurs spécialistes de musiques d’horizons et
d'époques différents autour d'un sujet auquel ils sont tous
confrontés : l'ornementation. En effet, ces musiques comportent
toutes des ornements et les musiciens se heurtent aux mêmes
questions. En quoi consiste techniquement un ornement ? Quelle
est la fonction de l'ornement ? L'ornement est-il
indispensable ? D'où vient l'ornement ? Comment se
pratique-t-il ?
La confrontation des
points de vues et expériences des participants a permis de créer
une dynamique très positive. On s'est très vite aperçu que le
questionnement sur les ornements était très proche aussi bien en
musique ancienne que traditionnelle. L'ornement est intimement lié à
la performance et donc au présent. Ainsi, l'idée de faire se
rencontrer deux mondes, celui de la musique ancienne, qui tire ses
informations principalement de l'écrit, et celui des musiques
traditionnelles de transmission orale, a fait apparaître une
certaine complémentarité.
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Jean-Christophe Maillard |
Ce sont d'abord deux
traditions d'apprentissage qui se sont rencontrées. Il existe en
France une tradition dans l'apprentissage de la musique ancienne qui consiste à ne pas jouer de
manière systématique tous les ornements qui sont écrits afin de
respecter « la pureté classique » comme le soulignait
Jean-Christophe Maillard. Elle est justement en contradiction avec
l'apprentissage tel qu'on le connaît aujourd'hui, qui respecte
strictement l'écrit afin de respecter la volonté du compositeur.
Alors pourquoi ne pas en faire de même avec les ornements écrits
eux aussi par le compositeur ? Comme l'a très justement
expliqué Xavier Vidal, le musicien
traditionnel se pose toujours la question « plus ou moins
orné ? ». C'est finalement plus ou moins accepté selon
la culture et la sensibilité de chacun. C'est aussi ce que se
demande le musicien devant une partition dont les notes sont presque
toutes accompagnées de signes renvoyant à des ornements. Les
traités anciens montrent eux aussi que l'ornementation est une
pratique libérée de l'écrit, reflet d'une pratique spontanée. La
mémoire joue donc un rôle central dans l'apprentissage des
ornements.
Ensuite, l'ornement
est considéré comme indispensable ; l'adjectif « vital » a même été
prononcé. Il donne vie à la musique, il embellit ou agrémente la
structure. Il a donc la même fonction dans une pièce de Corelli
dont la structure harmonique est relativement simple que dans une
bourrée du Quercy. Il permet d'éviter la monotonie et de faire
vivre la note. Il laisse aussi une place à l'interprète qui jouit
d'une certaine liberté face à l'écrit ou au poids de la tradition.
L'ornement lui permet donc de s'exprimer.
De plus, dans une
perspective historique et à la fois actuelle, Philippe Canguilhem a
souligné qu'orner, c'est embellir quelque chose qui existe déjà.
Cela sous-entend deux niveaux, donc une séparation entre la
musique que l'on ornerait et l'ornement lui-même. Au XXe siècle, on privilégie
la structure à l'ornement, il suffit pour cela de regarder les
constructions architecturales modernes ou la musique de Stravinsky,
par exemple. L'histoire nous montre que le rapport de l'art avec la
structure n'a pas toujours été le même suivant les époques.
Philippe Canguilhem a pris comme exemple les églises du sud de
l'Allemagne et d'Autriche qui sont très ornées, à tel point que
l'ornement cache la structure. C'est le style rococo. On peut se
demander si à cette époque le rapport n'était pas inversé. La
vision historisante a voulu gommer tout ce qui n'était apparemment
pas indispensable. On touche ici à une question fondamentale :
est-il pertinent de vouloir simplifier la musique à l'extrême ?
Car finalement, avant le XIXe siècle, on n'écrivait
de musique sans ornement, alors n'est-ce pas un non-sens ? La
question de l'ornementation, aussi bien pour les musiques anciennes
que traditionnelles, du fait qu'elle touche directement à la liberté
du musicien, est régie par des codes, et nous fait ainsi prendre
conscience que ces musiques réinventent le répertoire et sont donc
avant tout créatives.
Enfin, un lien a été
établi entre l'ornementation musicale et le geste ou la parole. En
effet, la musique étant une forme de discours et donc de langage,
les caractéristiques techniques de l'ornement et son utilisation
renvoient directement à l'art de la rhétorique. Un discours perd
beaucoup de son sens lorsqu'il est simplement lu et non pas prononcé.
De nombreux outils sont alors à prendre en compte comme les gestes,
la diction, le rythme des phrases, etc. Il en va de même pour une
œuvre musicale et d'autant plus lorsqu'il s'agit de musique ancienne
ou traditionnelle pour lesquelles l'écrit n'est pas considéré
comme étant l'œuvre elle-même. Tout ce qui n'est pas écrit prend
de l'importance et c'est pour cela que le goût et l'esthétique du
moment influencent la performance.
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Jean-Louis Comoretto et Jérémie Couleau |
Lors
de ces premières journées, le questionnement s'est concentré
autour de témoignages historiques et de questions techniques à
partir principalement de sources écrites ou enregistrées. Les
musiques traditionnelles peuvent s'appuyer sur des enregistrements,
contrairement aux musiques anciennes. On pourrait penser que c'est un
avantage, mais la reproduction n'est pas une finalité pour les
musiciens. Les musiques traditionnelles restent, comme les musiques
anciennes, des musiques créatrices en perpétuelle évolution, à
l'image d'un musicien, qui ne joue pas de la même manière au début
et à la fin de sa vie. La transmission orale subit donc autant les
variations du goût et de l'esthétique que la transmission écrite.
Qu'elle soit écrite ou orale, la source ne nous livre qu'une version
figée d'une œuvre telle qu'elle a été interprétée à un moment
donné. Le croisement de ces sources différentes conduit à des
échanges fructueux sur les questions de son, de timbre et de
rythme ; les musiques anciennes et traditionnelles
s'enrichissent ainsi mutuellement.
Dans les deux cas, il semble que le musicien ait besoin de garder une
liberté par rapport à l'héritage. C'est probablement pour cela que
l'ornement est au centre des réflexions car il touche directement à
l'identité des œuvres, à la manière dont on se les réapproprie.
L'ornementation est finalement une sophistication poussée à
l'extrême qui nécessite d'être initiée pour l'apprécier, ce qui,
comme le soulignait Yves Rechsteiner, n'est pas l'esthétique
dominante de nos jours. Elle nous fait alors entrer dans un débat
plus large, modernité égale simplicité ?
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Yves Rechsteiner et Odile Edouard |
Il faut selon moi
retenir trois idées de ces rencontres autour de l'ornementation.
D'abord, elles nous amènent à réfléchir sur notre rapport à
l'ornementation (et donc au répertoire). L'ornement ne doit pas être
réduit à un simple rôle décoratif. Il s'agit de la liberté du
musicien, de sa sensibilité, qui doit lui servir à s'exprimer
pendant la performance et à mettre en valeur son savoir-faire et sa
connaissance, donc son héritage. Il ne faut pas opposer héritage et
liberté car ils sont complémentaires. Ensuite, l'ornementation est intimement
liée à la performance et donc plus au présent qu'à l'écrit, ce
qui justifie la présence à ces journées de musiciens jouant des
musiques anciennes et traditionnelles. Néanmoins, faut-il
privilégier la liberté de l’interprète ou la volonté du
compositeur ? Enfin, le croisement des connaissances et des
sensibilités permet de répondre à des questions techniques, de
réalisation, sur lesquelles il serait bien de se concentrer dans la
perspective d'autres rencontres, comme le son, le timbre ou le rythme
dans le sens intention, élan.
En savoir plus :
Le programme des Conversations musicales 2012 à télécharger.