Le violon et l’accordéon diatonique sont les
espèces les plus répandues dans le biotope trad. À l’opposé, le uillean pipe,
par exemple, compte peu d’adeptes en France ; dès lors il paraît plus facile
pour un piper de sortir du lot. Quant aux autres (les joueurs des
instruments les plus répandus), il faut bien faire du chemin, travailler dur,
ne jamais s’avouer vaincu…
Ces deux jeunes musiciens semblent avoir répondu
à ces exigences et à mon avis sont bien partis pour se tailler une jolie
carrière dans le néo-trad, grâce notamment à une belle virtuosité qui sert la
simplicité : « J’aime cette musique parce qu’elle est simple, elle n’est pas
facile, mais simple (…) » (Baltazar Montanaro). Effectivement, pour moi, c’est
une musique dénuée de questionnements inutiles, elle va à l’essentiel et
l’auditeur la reçoit telle quelle, sans essayer de démêler le pourquoi du
comment (c’est normal, ces questions ne préexistent pas ici). On sent bien
malgré tout l’ensemble d’influences relativement récentes (j’entends des parfums
de Blowzabella…) ou plus intemporelles, comme
par exemple le répertoire tzigane roumain. Leurs compositions me rappellent
parfois un certain courant répétitif d’avant-garde, mais la charpente sur
laquelle elles s’appuient demeure assez conventionnelle : au cours de l’écoute,
l’harmonie qui présage souvent une nouvelle forme reste assez classique, malgré
quelques dissonances « bartokiennes » bien senties : on pense au plus
célèbre des ethnomusicologues à travers ses duos
de violon inspirés des danses ou des berceuses de Hongrie…
Et, à ce sujet, les compositions de Sophie
Cavez ont une configuration qui interpelle : elle paraît affectionner tout
particulièrement les rythmes dissymétriques et composés, ce qui au demeurant
constitue l’un des outils de base de ce jeune duo. En parallèle, les aksak
en 9/8 ou 7/8 n’empêchent pourtant pas les « notes de velours » dont
parle Didier Mélon (de la radio RTBF). Mais « l’Orient est grand »,
nous répètera certainement Jacky Molard, et Montanaro et Cavez n’ont pas fini
d’explorer les musiques d’Europe Centrale : ils nous apportent des échantillons
tous azimuts qui toutefois constituent le matériau très cohérent de cet album.
Les inventions ne se bousculent pas encore –
les passages « expérimentaux », comme par exemple dans le morceau Ninja
Fornicka avec une expression du pizzicato en questionnement
constant, osent à peine se dessiner – mais on sent poindre une liberté qui,
j’en suis sûr, va finir par être la compagne de route du duo.
Baltazar Montanaro a travaillé son propre son
dans le sens du bois, pourrait-on dire, une de ces essences rustiques et
rectilignes à la fois ; tandis que Sophie Cavez, même si elle nous offre généreusement
de belles lignes mélodiques, semble désirer très fort rester dans un rôle
rythmique omniprésent (à mon avis elle a grandi avec un métronome dans le
berceau), et c’est heureux.
Mais là où le duo s’exprime le mieux,
apparemment, c’est en public : la dernière plage est une série de prises en live,
et on les devine (pour l’instant !) infiniment plus à l’aise que dans un
studio…
Alem Alquier
Escales
Sophie Cavez & Baltazar Montanaro
Sophie Cavez & Baltazar Montanaro
Appel Rekords, 2012
Enregistré et produit par la RTBF, Le Monde est un village