lundi 12 novembre 2012

Escales, Sophie Cavez & Baltazar Montanaro - chronique CD

Le violon et l’accordéon diatonique sont les espèces les plus répandues dans le biotope trad. À l’opposé, le uillean pipe, par exemple, compte peu d’adeptes en France ; dès lors il paraît plus facile pour un piper de sortir du lot. Quant aux autres (les joueurs des instruments les plus répandus), il faut bien faire du chemin, travailler dur, ne jamais s’avouer vaincu…
Ces deux jeunes musiciens semblent avoir répondu à ces exigences et à mon avis sont bien partis pour se tailler une jolie carrière dans le néo-trad, grâce notamment à une belle virtuosité qui sert la simplicité : « J’aime cette musique parce qu’elle est simple, elle n’est pas facile, mais simple (…) » (Baltazar Montanaro). Effectivement, pour moi, c’est une musique dénuée de questionnements inutiles, elle va à l’essentiel et l’auditeur la reçoit telle quelle, sans essayer de démêler le pourquoi du comment (c’est normal, ces questions ne préexistent pas ici). On sent bien malgré tout l’ensemble d’influences relativement récentes (j’entends des parfums de Blowzabella…) ou plus intemporelles, comme par exemple le répertoire tzigane roumain. Leurs compositions me rappellent parfois un certain courant répétitif d’avant-garde, mais la charpente sur laquelle elles s’appuient demeure assez conventionnelle : au cours de l’écoute, l’harmonie qui présage souvent une nouvelle forme reste assez classique, malgré quelques dissonances « bartokiennes » bien senties : on pense au plus célèbre des ethnomusicologues à travers ses duos de violon inspirés des danses ou des berceuses de Hongrie…
Et, à ce sujet, les compositions de Sophie Cavez ont une configuration qui interpelle : elle paraît affectionner tout particulièrement les rythmes dissymétriques et composés, ce qui au demeurant constitue l’un des outils de base de ce jeune duo. En parallèle, les aksak en 9/8 ou 7/8 n’empêchent pourtant pas les « notes de velours » dont parle Didier Mélon (de la radio RTBF). Mais « l’Orient est grand », nous répètera certainement Jacky Molard, et Montanaro et Cavez n’ont pas fini d’explorer les musiques d’Europe Centrale : ils nous apportent des échantillons tous azimuts qui toutefois constituent le matériau très cohérent de cet album.
Les inventions ne se bousculent pas encore – les passages « expérimentaux », comme par exemple dans le morceau Ninja Fornicka avec une expression du pizzicato en questionnement constant, osent à peine se dessiner – mais on sent poindre une liberté qui, j’en suis sûr, va finir par être la compagne de route du duo.
Baltazar Montanaro a travaillé son propre son dans le sens du bois, pourrait-on dire, une de ces essences rustiques et rectilignes à la fois ; tandis que Sophie Cavez, même si elle nous offre généreusement de belles lignes mélodiques, semble désirer très fort rester dans un rôle rythmique omniprésent (à mon avis elle a grandi avec un métronome dans le berceau), et c’est heureux.
Mais là où le duo s’exprime le mieux, apparemment, c’est en public : la dernière plage est une série de prises en live, et on les devine (pour l’instant !) infiniment plus à l’aise que dans un studio… 

Alem Alquier

Escales
Sophie Cavez & Baltazar Montanaro
Appel Rekords, 2012
Enregistré et produit par la RTBF, Le Monde est un village

Pour en savoir plus :
www.duomontanarocavez.sitew.com