mardi 22 octobre 2013

Le bulletin d'humeur





« Que le cercle soit vicieux ne rend pas le carré vertueux ! »
 « Traité de Mathématique comportementale » chapitre : Morale & Géométrie, manuscrit autographe d’Henri Poincaré (1854-1912) mathématicien, physicien et philosophe français. Essai jamais publié.


Saint-Chartier, petit village cher à George Sand.
Saint-Chartier, indissociablement lié à la renaissance du folk français par son festival de « Luthiers et Maîtres sonneurs » qui accueille les meilleurs luthiers, les meilleurs musiciens, la crème du folk berrichon, français, européen, que dis-je, mondial.
Saint-Chartier, nom mythique…
Et ça fait bientôt quarante ans que, de bonnes raisons en mauvais prétextes, je rate l’événement… Fatalité, acte manqué ?
Ars a remplacé Saint-Chartier, vais-je aussi rater Ars ?
Non !
Décision ferme et définitive, révision des 240 000 km, plein de gasoil, Simone fait les valises, camping-car prêt, « tom-tom » résolument calé sur le Cœur du Berry…


1834, voyage pittoresque dans les campagnes de France.
« …Tout voyageur qui veut tirer quelques fruits de ses randonnées, descendra vingt fois de cheval. Il aura une longue vue, ses crayons ; et ses notes, dictées sous l’impression du moment, porteront le cachet de fraicheur et de vérité du poète et du peintre… »

Juillet 2013, Voyage au Pays de George Sand.
Pour voyager, rien ne vaut l’autoroute. Depuis ma maison, le chemin le plus rapide passe par la ZUP… la ZEP, ou la ZIP, c’est selon. Un enchaînement de ronds-points ponctué de croisements à angles droits dont les feux rythment l’absence de circulation. Sûr qu’à cinq heures du matin, il n’y a pas foule dans ce labyrinthe. Au détour d’un virage, un grillage rouillé entoure un terrain vague où quelques caravanes de « gens du voyage » mettent un peu de vie dans ce morne paysage d’immenses hangars gris aux façades multicolores, tous différents, tous identiques. Perché sur un monticule de terre boueux un chien aboie sans conviction. Le « tom-tom » déjouant les pièges de cette ZAC coriace, les immenses portiques lumineux de l’entrée de l’autoroute tendent finalement vers nous leurs grands bras métalliques. Berry, prépare tes musettes, Émile est en chemin !

« …La vue prise du haut du vallon, plonge, comme des degrés supérieurs d’un vaste amphithéâtre, sur une plaine riante, bien cultivée. Au loin, au nord-ouest, un chemin conduit à un petit bourg par une large combe, arrosée par plusieurs ruisseaux. D’innombrables petits sentiers mènent le promeneur vers des lieux de repos, des bois touffus, autant de sites enchanteurs que les hautes montagnes qui l’entourent n’écrasent pas ; elles ne font qu’ajouter à la grandeur, à la magnificence du tableau… »

Que dire du voyage… ?
Rapide. Des autoroutes peu encombrées, pas de gros bouchons à signaler, côté route, un coup ça monte, un coup ça descend, des fois à gauche, des fois à droite… quelques arrêts pour se dégourdir les jambes et faire le plein. À noter sur la A20, dite « l’Occitane », l’arrêt repas vers Argenton-sur-Creuse, où des frites molles et le café trop cher précèdent notre arrivée au camping de Montigny-sur-Indre.
Réservation sur Internet, emplacement spacieux près de la rivière, organisation sans faille, bravo Émile !
Sous les ombrages de la berge l’Indre « coule » si mollement qu’on croirait un long étang ; une cane y nage suivie de sept beaux canetons vifs comme des gardons, le plus petit toujours collé à sa mère comme le tender à sa locomotive à vapeur. Cette poétique vision m’inspire une chanson de circonstance « Derrièr’ chez moi-â, ya un étaaang… » et les ondes bénéfiques de la tradition la plus pure m’envahissent ; « Sonnez hautbois, résonnez musettes… ». Vielleux, cornemuseux, luthiers… l’Émile est là !
À l’entrée du festival chaque visiteur reçoit au poignet, gauche ou droit, au choix, un bracelet de plastique donnant l’accès à différents espaces délimités par de longues clôtures grillagées. La couleur du bracelet permettant d’identifier le jour et le niveau d’accréditation, des cerbères en uniforme et de souriantes jeunettes gardent jalousement chaque issue. Chaque luthier a son cabanon privatif avec l’électricité, scènes et buvettes parsèment les espaces clôturés, sans oublier les stands de frites. Bios, bien entendu. Rigueur et organisation !

« …La mère Biaude, voyant qu’il y avait là de l’ouvrage et du profit, fit apporter des bancs, des tables, du boire et du manger, comme, de ce dernier article elle n’était pas assez fournie pour tant de ventres creusés par la danse, un chacun se mit en devoir de livrer […] un fromage, qui un sac de noix, qui un quartier de chèvre ou un cochon de lait, lesquels furent rôtis ou grillés à la cantine vitement dressée. C’était comme une noce… »

Concerts, bals, bals-concerts… à Ars les groupes se succèdent. Sur la grande scène un danseur déguisé en Écossais fait des entrechats nu sous son kilt, normal pour un Écossais… un yodler autrichien yodle, normal pour un Autrichien… plus loin des bourrées à deux temps suivent chapeloises et cercles circassiens comme la pluie suit le beau temps, normal pour des bourrées à deux temps. D’innombrables danseurs s’entrechoquent sur les planchers de bois ; indéniable succès. Sur l’un des parquets un couple gigouille une sorte de scottisch et, à intervalles réguliers, le garçon fait tournoyer sa cavalière, jolie fille-fleur dont la fine jupette se déploie en corolle autour de sa taille. En s’élevant bien au dessus d’une belle paire de mollets fermes et ronds, le frêle bout de tissu dévoile le fin cordon d’un string confortablement callé entre deux vallons joufflus. L’émouvante vision de ce bout de ficelle donne envie d’applaudir… instants d’innocence…

Et une bourrée bourbonnaise, une !
« …si elle n’étalait plus ni soie ni dentelle, elle n’en avait pas moins toujours ses cheveux lisses, son bas blanc bien tiré, et ses pieds mignons grillaient de sauter quand elle voyait une belle place verte ou entendait un son de musette […] chacun sait qu’en tout pays, les femmes enterrent les hommes à la bourrée et tiennent encore sans débrider quand nous sommes crevés de soif et de chaud. […] Je voyais bien qu’il y prenait son propre plaisir, et qu’il aurait fait le tour de la terre sur un pied, pourvu que cette légère danseuse fût à son bras… »

Nuit du 14 juillet, retour à Montigny. Le moteur du camping-car ronronne tranquillement lorsque les éclairs colorés du feu d’artifice de La Châtre trouent la nuit étoilée. Mon regard admiratif suit cette symphonie lumineuse lorsqu’un éclair blanc éclaire brièvement la route. Feu d’ar… ? Non, flash de radar… « P…n » de feu d’artifice !
2 h moins le quart, à Montigny-sur-Indre l’ambiance du bal du 14 juillet affiche un encéphalogramme plat : estrade sans musiciens, piste de danse sans danseurs, buvette sans buveurs, sono-mobile pour tous… la « Fê-è-ète ». Le DJ lance « Psy-Gangnam Style », ce « tube mondial » sur lequel un petit sud-coréen rondouillard sautille comme une puce excitée. Insensible au rythme frénétique un couple enlacé se dandine lentement sur la piste de sable, terrain de jeu ordinaire des boulistes retraités…
2 h moins 5. Pour le dernier morceau le DJ et le chauffeur du camion-sono prennent place devant des pianos électroniques et, servi par une technique pianistique autodidactique, le duo attaque en anglais l’un des hits de l’été. Un enfant et sa mère tentent un slow hors de propos sur leurs voix de crooners essoufflés…

« …Et tant plus il buvait, tant plus il était gaillard et cornemusait de manière admirable. Enfin, l’appétit venant aux plus solides, Huriel fut forcé de finir, faute de danseurs à contenter […]. Il mangea vite et bien […et …] il fut le premier à lever son verre pour chanter, et malgré qu’il ait bouffé 1 six heures durant comme un orage, il avait la voix aussi fraîche et juste que si de rien n’était… »

Enfin, les nuages passant dans la nuit berrichonne éteignent une à une les étoiles du ciel… la cloche de l’église frappe deux coups. Fin du « bal traditionnel ». Dans l’indifférence générale le DJ remercie sans conviction les participants et l’organisation pendant que l’autre range la sono… les bénévoles s’affairent à la buvette, finissent la vaisselle, balaient. C’est l’heure d’aller se coucher.

Triste matin. Sous les ombrages complices de l’Indre, un sombre drame s’est joué. La cane n’est plus suivie que par deux canetons, dont le plus petit, toujours collé à son croupion…

Fin du festival, plein de gasoil, Simone refait les valises, camping-car prêt, « tom-tom » callé sur « domicile ». Il est temps de rentrer.
Retour par la zone commerciale d’Argenton-sur-Creuse. Un rond-point, deux ronds-points… une voix monotone me guide « à deux cent mètres tournez à droite… ». À l’aller la même disait « … à deux cent mètres tournez à gauche », l’Auchan de gauche est maintenant à droite. Le camping-car roule dans un enchevêtrement géométrique de rues sans âme. Faute de mise à jour l’écran du « tom-tom » indique que je circule au milieu des champs… patience, il finira bien par se recaler. En bordure d’une nationale, près d’une décharge, un espace, grand et nu comme un terrain de foot, accueille une aire de stationnement pour les « gens du voyage » ; soleil brûlant l’été, vent glacial l’hiver. Encore 5 minutes et je vais découvrir l’arrière de l’hôtel Ibis que j’avais vu de face à l’aller ; cruelle attente !!

« …Il faut savoir ménager des surprises aux hommes qui portent à l’excès le sentiment du beau. […] nous montâmes une colline élevée, en suivant un sentier […] Quand la fatigue ne nous permit plus de monter, milord s’assit sur un tertre en gazon et contempla à loisir le tableau ravissant que nous avions sous les yeux […] le clocher du bourg s’élevant comme une pyramide au milieu d’un espace resserré entre de hautes montagnes […]paraissait enveloppé d’une vapeur légère colorée de pourpre par les rayons du soleil… »

Passée la ZAC, la double voie offre une enfilade de lignes droites, de courbes molles à gauche, à droite… l’autoroute qui lui succède perfore les plaines, serpente entre les collines, à gauche, à droite… Ha, une variante ! Le prochain virage à gauche suivi d’une descente laisse entrevoir au loin un autre virage à gauche… je parie qu’après ça va remonter… La fatigue et l’ennui me gagnent…

Quid d’Ars 2013 ?
La trop fugace verticale plaisamment rebondie d’un string…, les interminables et déprimantes sinuosités des longs rubans de goudron gris… ZIP, ZAP, ZUP, la zone… Plif, plaf, la cane… Plouf, deux canetons…

Rond-point final.




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