« Que
le cercle soit vicieux ne rend pas le carré vertueux ! »
« Traité de Mathématique
comportementale » chapitre : Morale & Géométrie, manuscrit
autographe d’Henri Poincaré (1854-1912) mathématicien, physicien et philosophe
français. Essai jamais publié.
Saint-Chartier,
petit village cher à George Sand.
Saint-Chartier,
indissociablement lié à la renaissance du folk français par son festival de
« Luthiers et Maîtres sonneurs » qui accueille les meilleurs
luthiers, les meilleurs musiciens, la crème du folk berrichon, français,
européen, que dis-je, mondial.
Saint-Chartier,
nom mythique…
Et ça fait
bientôt quarante ans que, de bonnes raisons en mauvais prétextes, je rate
l’événement… Fatalité, acte manqué ?
Ars a remplacé
Saint-Chartier, vais-je aussi rater Ars ?
Non !
Décision ferme
et définitive, révision des 240 000 km, plein de gasoil, Simone fait les
valises, camping-car prêt, « tom-tom » résolument calé sur le Cœur du
Berry…
1834, voyage pittoresque
dans les campagnes de France.
« …Tout voyageur qui
veut tirer quelques fruits de ses randonnées, descendra vingt fois de cheval.
Il aura une longue vue, ses crayons ; et ses notes, dictées sous
l’impression du moment, porteront le cachet de fraicheur et de vérité du poète
et du peintre… »
Juillet
2013, Voyage au Pays de George Sand.
Pour
voyager, rien ne vaut l’autoroute. Depuis ma maison, le chemin le plus rapide
passe par la ZUP… la ZEP, ou la ZIP, c’est selon. Un enchaînement de
ronds-points ponctué de croisements à angles droits dont les feux rythment
l’absence de circulation. Sûr qu’à cinq heures du matin, il n’y a pas foule
dans ce labyrinthe. Au détour d’un virage, un grillage rouillé entoure un
terrain vague où quelques caravanes de « gens du voyage » mettent un
peu de vie dans ce morne paysage d’immenses hangars gris aux façades
multicolores, tous différents, tous identiques. Perché sur un monticule de
terre boueux un chien aboie sans conviction. Le « tom-tom » déjouant
les pièges de cette ZAC coriace, les immenses portiques lumineux de l’entrée de
l’autoroute tendent finalement vers nous leurs grands bras métalliques. Berry,
prépare tes musettes, Émile est en chemin !
« …La vue prise du
haut du vallon, plonge, comme des degrés supérieurs d’un vaste amphithéâtre,
sur une plaine riante, bien cultivée. Au loin, au nord-ouest, un chemin conduit
à un petit bourg par une large combe, arrosée par plusieurs ruisseaux.
D’innombrables petits sentiers mènent le promeneur vers des lieux de repos, des
bois touffus, autant de sites enchanteurs que les hautes montagnes qui
l’entourent n’écrasent pas ; elles ne font qu’ajouter à la grandeur, à la
magnificence du tableau… »
Que dire du
voyage… ?
Rapide. Des
autoroutes peu encombrées, pas de gros bouchons à signaler, côté route, un coup
ça monte, un coup ça descend, des fois à gauche, des fois à droite… quelques
arrêts pour se dégourdir les jambes et faire le plein. À noter sur la A20, dite
« l’Occitane », l’arrêt repas vers Argenton-sur-Creuse, où des frites
molles et le café trop cher précèdent notre arrivée au camping de Montigny-sur-Indre.
Réservation sur
Internet, emplacement spacieux près de la rivière, organisation sans faille,
bravo Émile !
Sous
les ombrages de la berge l’Indre « coule » si mollement qu’on
croirait un long étang ; une cane y nage suivie de sept beaux canetons
vifs comme des gardons, le plus petit toujours collé à sa mère comme le tender à
sa locomotive à vapeur. Cette poétique vision m’inspire une chanson de
circonstance « Derrièr’ chez moi-â, ya un étaaang… » et les ondes
bénéfiques de la tradition la plus pure m’envahissent ; « Sonnez
hautbois, résonnez musettes… ». Vielleux, cornemuseux, luthiers… l’Émile
est là !
À
l’entrée du festival chaque visiteur reçoit au poignet, gauche ou droit, au
choix, un bracelet de plastique donnant l’accès à différents espaces délimités
par de longues clôtures grillagées. La couleur du bracelet permettant
d’identifier le jour et le niveau d’accréditation, des cerbères en uniforme et
de souriantes jeunettes gardent jalousement chaque issue. Chaque luthier a son
cabanon privatif avec l’électricité, scènes et buvettes parsèment les espaces
clôturés, sans oublier les stands de frites. Bios, bien entendu. Rigueur et
organisation !
« …La mère Biaude,
voyant qu’il y avait là de l’ouvrage et du profit, fit apporter des bancs, des
tables, du boire et du manger, comme, de ce dernier article elle n’était pas
assez fournie pour tant de ventres creusés par la danse, un chacun se mit en
devoir de livrer […] un fromage, qui un sac de noix, qui un quartier de chèvre
ou un cochon de lait, lesquels furent rôtis ou grillés à la cantine vitement
dressée. C’était comme une noce… »
Concerts,
bals, bals-concerts… à Ars les groupes se succèdent. Sur la grande scène un
danseur déguisé en Écossais fait des entrechats nu sous son kilt, normal pour
un Écossais… un yodler autrichien yodle, normal pour un Autrichien… plus loin des
bourrées à deux temps suivent chapeloises et cercles circassiens comme la pluie suit le beau temps, normal pour des
bourrées à deux temps. D’innombrables
danseurs s’entrechoquent sur les planchers de bois ; indéniable succès. Sur
l’un des parquets un couple gigouille une sorte de scottisch et, à intervalles
réguliers, le garçon fait tournoyer sa cavalière, jolie fille-fleur dont la
fine jupette se déploie en corolle autour de sa taille. En s’élevant bien au
dessus d’une belle paire de mollets fermes et ronds, le frêle bout de tissu
dévoile le fin cordon d’un string confortablement callé entre deux vallons
joufflus. L’émouvante vision de ce bout de ficelle donne envie d’applaudir…
instants d’innocence…
Et une bourrée
bourbonnaise, une !
« …si elle n’étalait
plus ni soie ni dentelle, elle n’en avait pas moins toujours ses cheveux
lisses, son bas blanc bien tiré, et ses pieds mignons grillaient de sauter
quand elle voyait une belle place verte ou entendait un son de musette […]
chacun sait qu’en tout pays,
les femmes enterrent les hommes à la bourrée et tiennent encore sans débrider
quand nous sommes crevés de soif et de chaud. […] Je voyais bien qu’il y
prenait son propre plaisir, et qu’il aurait fait le tour de la terre sur un
pied, pourvu que cette légère danseuse fût à son bras… »
Nuit
du 14 juillet, retour à Montigny. Le moteur du camping-car ronronne
tranquillement lorsque les éclairs colorés du feu d’artifice de La Châtre
trouent la nuit étoilée. Mon regard admiratif suit cette symphonie lumineuse
lorsqu’un éclair blanc éclaire brièvement la route. Feu d’ar… ? Non, flash
de radar… « P…n » de feu d’artifice !
2 h moins le quart, à Montigny-sur-Indre l’ambiance
du bal du 14 juillet affiche un encéphalogramme plat : estrade sans
musiciens, piste de danse sans danseurs, buvette sans buveurs, sono-mobile pour
tous… la « Fê-è-ète ». Le DJ lance « Psy-Gangnam Style »,
ce « tube mondial » sur lequel un petit sud-coréen rondouillard
sautille comme une puce excitée. Insensible au rythme frénétique un couple
enlacé se dandine lentement sur la piste de sable, terrain de jeu ordinaire des
boulistes retraités…
2 h moins 5. Pour le dernier morceau le
DJ et le chauffeur du camion-sono prennent place devant des pianos
électroniques et, servi par une technique pianistique autodidactique, le duo
attaque en anglais l’un des hits de l’été. Un enfant et sa mère tentent un slow
hors de propos sur leurs voix de crooners essoufflés…
« …Et tant plus il
buvait, tant plus il était gaillard et cornemusait de manière admirable. Enfin,
l’appétit venant aux plus solides, Huriel fut forcé de finir, faute de danseurs
à contenter […]. Il mangea vite et bien […et …] il fut le premier à lever son
verre pour chanter, et malgré qu’il ait bouffé 1 six heures durant comme
un orage, il avait la voix aussi fraîche et juste que si de rien
n’était… »
Enfin, les nuages passant dans la nuit
berrichonne éteignent une à une les étoiles du ciel… la cloche de l’église
frappe deux coups. Fin du « bal traditionnel ». Dans l’indifférence
générale le DJ remercie sans conviction les participants et l’organisation
pendant que l’autre range la sono… les bénévoles s’affairent à la buvette,
finissent la vaisselle, balaient. C’est l’heure d’aller se coucher.
Triste matin. Sous les ombrages complices
de l’Indre, un sombre drame s’est joué. La cane n’est plus suivie que par deux
canetons, dont le plus petit, toujours collé à son croupion…
Fin du festival, plein de gasoil, Simone
refait les valises, camping-car prêt, « tom-tom » callé sur
« domicile ». Il est temps de rentrer.
Retour
par la zone commerciale d’Argenton-sur-Creuse. Un rond-point, deux ronds-points…
une voix monotone me guide « à deux cent mètres tournez à droite… ». À
l’aller la même disait « … à deux cent mètres tournez à gauche »,
l’Auchan de gauche est maintenant à droite. Le camping-car roule dans un enchevêtrement
géométrique de rues sans âme. Faute de mise à jour l’écran du
« tom-tom » indique que je circule au milieu des champs… patience, il
finira bien par se recaler. En bordure d’une nationale, près d’une décharge, un
espace, grand et nu comme un terrain de foot, accueille une aire de
stationnement pour les « gens du voyage » ; soleil brûlant l’été,
vent glacial l’hiver. Encore 5 minutes et je vais découvrir l’arrière de l’hôtel
Ibis que j’avais vu de face à l’aller ; cruelle attente !!
« …Il faut savoir
ménager des surprises aux hommes qui portent à l’excès le sentiment du beau.
[…] nous montâmes une colline élevée, en suivant un sentier […] Quand la fatigue
ne nous permit plus de monter, milord s’assit sur un tertre en gazon et
contempla à loisir le tableau ravissant que nous avions sous les yeux […] le
clocher du bourg s’élevant comme une pyramide au milieu d’un espace resserré
entre de hautes montagnes […]paraissait enveloppé d’une vapeur légère colorée
de pourpre par les rayons du soleil… »
Passée la ZAC, la double voie offre une
enfilade de lignes droites, de courbes molles à gauche, à droite… l’autoroute
qui lui succède perfore les plaines, serpente entre les collines, à gauche, à
droite… Ha, une variante ! Le prochain virage à gauche suivi d’une
descente laisse entrevoir au loin un autre virage à gauche… je parie qu’après
ça va remonter… La fatigue et l’ennui me gagnent…
Quid d’Ars 2013 ?
La trop fugace verticale plaisamment
rebondie d’un string…, les interminables et déprimantes sinuosités des longs
rubans de goudron gris… ZIP, ZAP, ZUP, la zone… Plif, plaf, la cane… Plouf,
deux canetons…
Rond-point final.
1 Soufflé